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La Dame de Champignelles

Satisfait d'avoir retrouvé des documents exceptionnels qui levaient un coin du voile tombé sur le passé, Edmond, le paysan, s'était passionné peu à peu pour la recherche des faits les plus divers concernant la vie, les habitudes et les mœurs des générations disparues. Son éducation, son environnement, son travail ne le prédisposaient pourtant pas à cette activité. Des amis étonnés mais satisfaits de cette soif de connaissances venaient à sa rencontre, apportant de ci de là de précieux éléments. Lorsqu'il quittait la cote bleue de chauffe pour revêtir l'habit du dimanche, il avait plus l'allure du touriste libéré de toutes contraintes que du paysan qu'il était. Avec sa casquette de tweed bien enfoncée sur le crâne et ses favoris mangeant les joues on aurait dit un lord Ecossais. Son nez fortement arqué révélait une forte personnalité. II n'était pas particulièrement grand, un mètre soixante-quinze environ mais il avait gardé un corps de jeune homme et un ventre plat.

Yvonne aurait été belle femme si elle avait soigné sa tenue. Elle était plutôt vieux jeu et portait ses cheveux clairs en chignon roulé derrière la tête. Elle ne faisait aucun effort vestimentaire et se coiffait souvent de la "bicanette", le foulard des paysannes d'autrefois, nouée sur le crâne. C'était pratique mais n'avait rien d'élégant. Elle craignait que la coquetterie ne soit l'amorce de la coquinerie. Ses enfants qui la taquinaient à ce sujet n'avaient jamais réussi à la convaincre. Elle traînait une éducation stricte, tenace. Mais elle avait un certain charme, une belle intelligence ainsi que beaucoup d'esprit. Elle avait gentiment rétorqué à l'une de ses relations ayant pour habitude de geindre régulièrement sur le temps présent, que les hommes sont faits de telle sorte qu'ils voient toujours le passé meilleur qu'il n'a été, le présent pire qu'il n'est et l'avenir plus heureux qu'il ne sera.

Ils formaient un couple uni, satisfait de son sort, conscient qu'une activité commune telle que la leur était le bien le plus précieux. Complices dans la vie, ils l'étaient devenus dans la traque du passé.

Ayant consulté par hasard l'œuvre de l'académicien G. Lenotre "La femme sans nom" racontant l'extraordinaire histoire d'une femme de Champignelles, Edmond et son épouse poussèrent plus avant leurs recherches. Ils se retrouvèrent à Champignelles, grosse bourgade située aux confins du Gâtinais et du Morvan, à mi-chemin entre Auxerre et Gien.

A la bibliothèque municipale, pourtant très bien pourvue en ouvrages variés, les recherches restèrent vaines. Le couple un peu déçu s'apprêtait à repartir quand un vieux monsieur rencontré par hasard et très au courant de l'affaire, proposa sa collaboration. Il habitait près de l'église. Il ouvrit sa maison, son cœur et sa mémoire.

- Vous êtes intéressés par l'histoire de la femme sans nom de Champignelles! Elle est très peu connue et cependant... Le brave homme laissa sa phrase en suspend et campé solidement sur sa chaise enchaîna:

- Le 7 octobre 1741 naissait dans un château proche de Champignelles une petite fille que l'on prénomma Adelaïde-Marie. Son père était le comte Rogres de Lusignan de Champignelles, lieutenant général des armées du Roy, grand bailli des ordres de Saint-Jean de Jérusalem, ancien capitaine des gardes françaises, membre de l'Arquebuse royale d'Auxerre. Sa mère, née Lefebvre de Laubrière était une femme maladive qui à l'image de toute la noblesse, s'occupait peu de ses enfants au nombre de six. Trois moururent en bas âge, seuls survécurent outre la petite Marie, Henriette-Françoise et Armand-Louis. La mère confiait régulièrement ses enfants à une paysanne de la localité, Madeleine Pardon tandis qu'elle-même vivait principalement à Paris.

Un jour la nourrice posa Adélaïde-Marie sur une table le temps de tirer de l'eau à une pompe à balancier. Malheureusement la fillette tomba sur le dallage, se cassant une jambe. La fracture mal soignée laissa Marie boiteuse pour la vie.

Vers cinq ans la petite fille fut envoyée à Montargis avec sa sœur au couvent des Bénédictines dont la supérieure était l'une de leurs tantes.

On lui apprit les belles manières, à lire et à écrire, mais rien d'autre. Quand une fille de condition pouvait réciter de mémoire des vers de Racine, les éducateurs étaient comblés.

Elle apprit aussi à faire la révérence, à broder, à jouer de la vielle et à taquiner le clavecin. Sa compagne était sa sœur de lait Suzanne Paradon que suivant un usage, Monsieur de Champignelles faisait éduquer à ses frais dans la même institution.

A cette époque, les enfants de la noblesse ne tutoyaient pas leurs parents et ne les appelaient jamais papa et maman. Ils seraient passés pour des malappris et auraient dû renoncer à se faire une place dans la bonne société.

Marie passa dix ans à Montargis, sans vacances et sans visite.

II faut dire que la petite demoiselle de Champignelles ne manifestait pour les études qu'un entrain modéré au grand dam de ses parents.

La malchance la poursuivant, elle tomba dans l'escalier; le vase de fleurs qu'elle tenait à la main se brisa, la blessant si profondément que la cicatrice resta indélébile. Une autre fois une guêpe la piqua à la nuque provoquant une affection si maligne qu'une plaie grave en résulta laissant des traces, elles aussi, ineffaçables.

Le jour de sa fête, la Sainte Marie, la veille de l'Assomption en 1755, un formidable orage éclata sur Montargis incendiant toute une aile de la maison des religieuses. Elle se voyait alors abandonnée de Dieu.

A dix-huit ans mademoiselle de Champignelles quitta le couvent où resta sa sœur Henriette, destinée à prendre le voile et à succéder à sa tante dans la direction de la Communauté. Marie fut conduite à Paris chez les religieuses des Ursulines de la rue Saint-Jacques pour y parfaire son éducation.

Dans ce lieu austère, Marie vivra cinq années sans plus de vacances et de sorties qu'elle n'en avait connues à Montargis.

Son père et sa mère habitaient occasionnellement leur hôtel rue du Foin, au Marais, mais par calcul ils ne lui rendaient pas visite, escomptant qu'elle prendrait plus rapidement goût à la vie du cloître et permettrait ainsi à leur fils, entré au service du Roi, de devenir l'unique héritier du nom.

Lorsqu'elle eut vingt-trois ans, M. de Champignelles, devant l'obstination de sa fille à refuser le voile, décida bon gré, mal gré de la conduire à Lusignan au château de ses lointains ancêtres.

Marie sans être jolie n'était pas d'aspect désagréable. Elle avait un nom distingué dans l'ordre de la noblesse et la fortune de ses parents était considérable. On lui trouva facilement un mari. Elle avait alors vingt-trois ans, le fiancé quarante-cinq. Il s'appelait Louis-Joseph marquis de Douhault, seigneur de Chamouseau, de Luzeret et autres lieux, tous fiefs situés près d'Argenton, à cinquante lieues de Champignelles. Il était capitaine au régiment de Royal-Normandie et chevalier de Saint-Louis. Veuf, sans enfant, las de la vie militaire, il convolait en secondes noces pour se retirer dans ses terres.

La signature du contrat de mariage eut lieu au château de Champignelles le 28 août 1764 sans que les futurs époux n’aient fait connaissance au préalable.

La jeune épouse remarqua surtout que le notaire venu spécialement de Paris pour rédiger les accords avait le nez rouge et gros comme une betterave, confia-t-elle plus tard à ses amies.

Marie recevait une dot de 80.000 livres, dont 30.000 payées comptant. Son mari lui assurait une rente viagère de 5.000 livres et en cas de veuvage, l'habitation dans l'un de ses châteaux. En ce temps-là, cela constituait un très beau mariage.

Les invités avaient fait de beaux cadeaux dont un attelage de quatre chevaux offert par le bailli de Champignelles. Et de ce présent, la jeune épouse n'était pas peu fière, les bêtes étaient magnifiques et répondaient exactement avec leur robe fauve à ses critères d'élégance et de beauté. Elle aimait les chevaux et avait toujours ambitionné d'en posséder un.

Le mariage fut célébré deux jours plus tard au château par le curé du village, l'abbé Carré.

A l'église le marié quitta son prie-Dieu sans façon pour aller se confondre parmi les paysans afin d'assister en simple spectateur à son propre mariage. Cela fit jaser et le soir dans les chaumières on promit bien du plaisir à la petite marquise.

Au nombre des invités se trouvaient Monsieur et madame de Montigny, Monsieur et madame d'Hautefeuille et toute leur maison. Entendez par là, famille, gens, et équipages. La jeune mariée n'avait pas encore fait la connaissance de son époux, cette formalité ayant été négligée avant les noces. Elle découvrit un homme morose, atrabilaire, d'humeur bourrue, mais elle n'était pas femme à se lamenter et résignée à n'être point heureuse en ménage, elle suivit son mari, quittant Champignelles pour le château de Chazelet à Argenton dans le Berry où le couple fixait sa résidence.

L’intérieur du château conservait des restes d'anciennes splendeurs mais de l'ensemble émanait des relents de tristesse. Un pont-levis, des murs gris, des douves marécageuses, des bois tout alentour, tel était le décor.

L’appartement de la nouvelle marquise était tapissé de soie et d'argent représentant des scènes du Roman de la Rose; son mari occupait un autre étage, le reste du château était inoccupé.

A la morte-saison, quand le vent et la pluie battaient les volets, le lieu était sinistre et madame de Douhault en venait à regretter le couvent de Montargis.

Près d'un mari taciturne, les jours succédaient aux jours, tous semblables, et les illusions de la jeune femme, qui n'avait que vingt-quatre ans, tombaient les unes après les autres.

La belle saison venue, la vieille demeure s'animait un peu. Les de Douhault recevaient la noblesse d'alentour en faisant étalage de toute leur livrée: cocher, jardinier, valets de chambre et de pied. La jeune marquise s'affairait près de ses invités, s'en allant sautillant pour dissimuler sa claudication mais les festivités terminées, elle retombait dans sa morne existence.

En réalité le marquis de Douhault était sujet à de terribles attaques de démence et ses crises le terrassant à l'improviste, il craignait d'en donner l'affreux spectacle à sa femme et à son entourage. Il demeurait dans son appartement, portes fermées, volets clos. Un valet de chambre discret connaissait seul la nature de l'affection dont était atteint le maître. Il se nommait Vergnon mais ses contemporains lui avaient attribué le sobriquet de Lajoie. Un jour, M. de Douhault, au terme d'une crise, fut surpris par sa femme alertée par ses cris et ses plaintes. Il se précipita sur elle, un pistolet à la main. Des témoins de la scène le désarmèrent mais les mauvaises langues suggérèrent que la marquise avait un galant. On citait même le nom du jeune homme, un étudiant nommé Delorme.

Au cours de l'hiver de 1766, la marquise entendant des cris et un bruit de lutte se précipita et découvrit son mari tenant à la gorge son valet de confiance, le brave Lajoie. Courageusement elle essaya de s'interposer. Furieux, le marquis lâcha son employé et se retournant contre son épouse la blessa sous le sein droit avec son épée. Le chirurgien mandé jugea l'état de la blessée inquiétant.

Le père de Marie, informé, revint chercher sa fille et obtint du roi une lettre de cachet autorisant l'arrestation de l'agresseur qui fut incarcéré comme dément dangereux. Le fidèle Lajoie refusa de quitter son maître et l'accompagna au cabanon. On dit que la marquise accepta avec tristesse le sort de son mari. Mais on ne sait pas vraiment si Marie éprouvait une quelconque affection pour son époux, cependant elle était sa femme devant Dieu et les hommes et elle respectait ce serment.

II n'y eut ni scandale, ni procès, l'escamotage d'individus par ordre du roi, pour diverses raisons (souvent politiques) se faisait en douceur et le procédé n'avait rien d'exceptionnel. Dans tous les cas celui qui obtenait la lettre de cachet conservait indéfiniment le pouvoir de régler à son gré le sort du détenu. En revanche tous les frais de détention étaient à sa charge.

La marquise demanda et obtint l'autorisation de rendre visite à son mari. Elle se rendit à Charenton, pourvoyant à l'amélioration des conditions d'internement du détenu en lui procurant un appartement confortable. Elle acheta également la mansuétude des geôliers.

La pauvre Madame de Douhault qui semblait attirer le malheur, rentra chez elle et se fit mordre cruellement à la main gauche par un chien féroce.

Pour la compréhension de la suite du récit, on doit préciser que la jeune femme était, du fait de ses diverses mésaventures, couvertes de signes particuliers: coupure à la main droite, morsure à la main gauche, coup d'épée au sein, traces de piqûre à la nuque, claudication, cicatrices de vésicatoires sur les bras et la poitrine.

A ce moment du récit le conteur, qui était âgé, fut pris d'une quinte de toux. Yvonne et Edmond craignirent un instant que l'entretien n'en restât là. Mais le brave homme trop heureux d'avoir trouvé un auditoire attentif reprit le cours de l'histoire à l'endroit précis où il l'avait quitté. Edmond nota que le vieillard adoptait le présent pour poursuivre sa narration. Rattrapé par sa passion, il effaçait ainsi le temps.

A vingt-cinq ans, Marie devient veuve d'un mari vivant, elle est la curatrice légale du détenu déchu de tous ses droits et emploie désormais son temps à assister les pauvres et les malades.

Au contact des déshérités elle perd quelque peu de sa fierté aristocratique et de sa préciosité. Elle qui sortait toujours avec son dictionnaire à la main pour reprendre les fautes de langage de ses interlocuteurs quitte cette mauvaise habitude pour faire preuve de simplicité et même de tendresse envers les humbles.

En 1784, son père, le comte de Champignelles meurt subitement. Marie a quarante- trois ans. Son frère, Armand-Louis, ambitieux et cupide est alors maréchal de camp et mène un train de grand seigneur. On raconte que peu avant la mort de leur père, Armand-Louis prit possession de l'hôtel paternel Rue du Foin et refusa d'y accueillir le vieillard venu de son Gâtinais. Le comte fut frappé d'apoplexie et en mourut.

Dès lors des questions d'intérêts entrent enjeu au sujet de la succession. La vieille comtesse peu habituée aux questions d'argent confie à son fils Armand la charge de régler pour elle ce problème financier. II en profite pour s'approprier le domaine de Champignelles et l'hôtel de la rue du Foin, laissant à Marie la promesse de la dédommager ultérieurement en espèces sous prétexte d'un prochain mariage avantageux. L’autre fille Henriette-Françoise, ayant été dotée à son entrée au couvent, dont elle est devenue l'abbesse, n'a plus de prétention à émettre.

Les tractations de succession ne sont point encore terminées que meurt à Charenton le marquis de Douhault.. Ses biens considérables revenant pour une large part à sa veuve, Marie, du fait de son veuvage et de ses droits à prétendre sur l'héritage de ses parents peut disposer, selon l'inventaire établi, de plus de 80.000 livres de rentes. Je vous rappelle que nous étions en 1787, cela fait un paquet d'argent!

Mais pour ce faire, il lui faudrait entrer en possession des sommes détenues par son frère. Or celui-ci est intraitable et sous prétexte que les fermages ne rentrent pas il a même cessé de payer la pension promise à sa mère.

La vieille comtesse voulant révoquer le contrat arraché par son fils et reprendre le château de Champignelles, se confie à Marie. Celle-ci, pour aider efficacement sa mère et prendre les mesures convenables, décide de se rendre auprès de son frère afin de réclamer elle-même sa part de l'héritage paternel.

Elle compte se mettre en route après les fêtes de Noël, passer par Montargis pour y prendre les conseils de sa sœur religieuse, s'arrêter à Orléans chez le cousin de son mari, puis gagner Fontainebleau afin de rendre visite à madame de Polastron, sœur de madame de Polignac, dames très avancées dans la faveur de la cour et dont la protection peut être efficace. Pour cette longue route, elle prévoit une absence d'un mois.

Après une nouvelle pose imposée par la fatigue, le narrateur reprit son récit en se référent cette fois au passé.

Le 26 décembre 1787 un attelage de bœufs traîna par de mauvais chemins la voiture de la marquise jusqu'à Argenton. Deux jours plus tard elle atteignait Orléans. Le premier janvier 1788, elle se faisait conduire chez un nommé du Lude cohéritier et ami de la famille. Mais ce dernier tergiversait avec ses devoirs d'hôte et recommandait Marie à de lointains cousins, les de La Roncière, qui se dirent ravis de recevoir leur parente.

Le mercredi 16 janvier madame de Douhault festoyait encore chez les généreux La Roncière dont elle appréciait l'hospitalité. On fit visiter une dernière fois à la cousine les plus beaux sites de la ville qu'elle semblait avoir fort appréciés. Ces dames extériorisaient leur joie dans le luxueux carrosse empruntant les quais de la Loire. On s'amusait des étonnements de la provinciale et pour dissiper sa mélancolie congénitale on lui offrit une prise. Elle hésitait mais face à l'insistance de ses compagnes elle se laissa finalement convaincre et puisa dans la boite une énorme pincée de tabac à priser qu'elle aspira imprudemment. Les femmes lui avaient tant vanté les vertus de la poudre magique, qu'elle en avait respiré sans retenue. Elle eut un malaise et pria ses compagnes de la raccompagner à sa chambre. Malade elle s'endormit et sa femme de chambre, Françoise Périsse, qui ne l'avait jamais quittée depuis le départ du château, ne put la réveiller.

Quelques jours plus tard malgré les soins de trois médecins réputés la marquise de Douhault expirait sans jamais avoir repris connaissance depuis la prise néfaste.

Le bedeau de Saint-Michel, assisté du cocher des La Roncière mit le corps au cercueil mais la servante de la défunte, Françoise Périsse, trop éprouvée, ne put rendre les derniers devoirs à sa maîtresse vénérée.

Le curé de la paroisse, officier d'état civil, rédigea l'acte de décès que signèrent trois témoins dont Mms. De La Roncière et Du Lude.

Une partie de la journée fut consacrée à la recherche d'une bague ornée d'un diamant que la marquise portait au doigt. Finalement Françoise retrouva le bijou parmi les effets de la défunte lesquels avaient pourtant été mis sous scellés. La bague ayant, sans doute par mégarde, échappé au contrôle de l'huissier. Mais on ne retrouva que 222 livres sur les 1800 que la disparue possédait au départ d'Argenton.

Le 28 janvier de la même année, sept jours après les obsèques de Madame de Douhault, la police amenait à la Salpêtrière une prisonnière qui fut écrouée sous le nom de Blainville. La Salpêtrière était alors la Bastille des femmes de mauvaise vie. Elles étaient deux cents derrière les barreaux de la sinistre prison.

La nouvelle pensionnaire de la geôle semblait indifférente à tout ce qui l'entourait comme à sa détention. Elle paraissait émerger d'un terrible cauchemar. Les infirmières qui la prirent en charge constatèrent qu'elle portait de nombreuses cicatrices sur tout le corps.

Après quelques jours d'hébétude la nouvelle détenue, parut s'étonner de sa nouvelle condition et demanda pourquoi on l'appelait Blainville alors que son nom était marquise de Douhault née Marie De Champignelles. Elle se rappelait la promenade en voiture à Orléans en compagnie de sa cousine et de ses amies, elle se souvenait de la prise de tabac et de son malaise mais ensuite c'était un grand trou dans sa mémoire. Les gardiennes habituées aux élucubrations de leurs prisonnières écoutaient avec la plus parfaite indifférence les confidences de la malheureuse. Une marquise vraie ou fausse de plus ou de moins ne pouvait les émouvoir, elles en avaient vu d'autres.

Puis le flou de sa mémoire se dissipant, Marie se revoit seule dans sa chambre chez les cousins De La Roncière. Madame De La Roncière s'approche doucement de son lit et lui parle avec douceur; elle prétend que monsieur De Champignelles réclame à Paris la présence de sa sœur et qu'elle doit se mettre en route sur-le-champ. Elle s'entend prétexter sa grande lassitude pour refuser ce voyage mais on la met dans un cabriolet. Sa femme de chambre, la fidèle Françoise Périsse n est pas du voyage, étant malade paraît-il, et alitée dans une petite pièce sous les combles.

Après vingt-quatre heures de route, elle voit sa mère qui la met en garde contre les agissements de son frère. Elle rencontre néanmoins ce dernier mais l'entrevue est orageuse et la marquise part pour Fontainebleau où pour une raison inconnue elle est arrêtée, jetée dans une chaise de poste et emmenée à la Salpêtrière.

On peut opposer à cette version des arguments en faveur d'une thèse diamétralement opposée.

II est difficile de concevoir que la marquise n'ait point été alertée dans sa chambre par tous ces préparatifs mortuaires. On imagine mal des personnes honorablement connues comme Monsieur et Madame de la Roncière ou Monsieur Du Lude s'associer à un méfait qui ne pouvait servir aucun de leurs intérêts. Comment penser qu'après l'avoir artificiellement endormie des personnes sensées puissent prendre le risque de l'envoyer à Paris auprès de relations la connaissant parfaitement et pouvant la reconnaître?

Quelqu'un aurait donc usurpé son identité risquant d'être démasqué.

Si la marquise est bien décédée à Orléans dans la nuit du 18 janvier, comment peut-on expliquer l'attitude de la prisonnière? Elle tient parfaitement son rôle avec une attitude noble, pleine de candeur, dénotant parmi toutes ces femmes de petite vie aux manières frustes?

C'est une détenue modèle gagnant le respect des autres pensionnaires et l'amitié des gardiennes qui adoucissent sa détention par de petites faveurs. Une femme qui fournit mille précisions sur son passé et qui explique son arrestation par un imprudent bavardage au sujet du Cardinal de Rohan et du scandale du collier de la reine. Elle se souvient avoir évoqué l'affaire dans une taverne en présence d'inconnus.

Pas un seul instant elle n'accuse son frère de tentative d'escamotage à des fins d'héritage pour la bonne raison qu'elle ignore l'annonce de sa propre mort.

Pendant ce temps les héritiers de madame de Douhault, ses héritiers donc, se partageaient les biens de la défunte, agissant en gens convaincus de son décès.

Après l'enterrement, on écrivit à sa mère, Madame de Champignelles, pour lui annoncer le décès de sa fille et lui demander une procuration afin de lever les scellés. Or, si Madame de Champignelles a bien eu la visite de sa fille le lundi 21 janvier, on comprend mal qu'elle puisse accepter sans réserve cette demande pour un décès annoncé le 18. Françoise Périsse, la servante, rétablie, rentra au pays et conta dans le détail les derniers instants de sa maîtresse. On pleura beaucoup dans la cité poyaudine.

Il était définitivement établi que Adelaïde-Marie de Champignelles marquise de Douhault, dame de Chazelet était décédée.

Une seule personne, détenue elle aussi à Charenton pour bavardage contre l'administration dans son auberge de Brest, gardait sa confiance à Marie. Surnommée la mère de Brest la brave femme, enfin libérée, s'empressa de porter une lettre de sa protégée à Madame de Polignac proche de la reine et relation de la famille De Champignelles.

Sans doute convaincue de l'identité de la prisonnière, la duchesse de Polignac intervint auprès des autorités et la Blainville retrouvait rapidement la liberté.

Éblouie par l'ivresse du grand air et de la liberté Marie De Douhault demanda naïvement l'hospitalité à son frère, Rue du Foin. Introduite auprès de lui elle fut chassée sans ménagement et les domestiques reçurent la consigne de la repousser à l'avenir, sans ménagement.

Se repliant en désespoir de cause chez son parrain, puis chez des cousins, elle fut partout reçue en intruse.

Un vague cousin lui annonça même la fausse mort de sa mère Madame De Champignelles.

C'est auprès de madame De Polignac que Marie trouva finalement asile et réconfort. Après avoir déjà obtenu sa libération, la marquise acceptait généreusement de recueillir la malheureuse rejetée de partout.

Telle est la version qui sera soutenue par madame de Douhault lorsqu'elle devra raconter les moments qui suivirent sa résurrection.

Mais là encore on se heurte à quelques invraisemblances: Comment une personne aussi influente et informée que la duchesse de Polignac peut accepter sans réaction la résurrection de la châtelaine dont on lui a annoncé la mort? Et plus encore il est curieux que le décès annoncé de la mère de Marie, qui est bien vivante et réside à quelques lieues de Versailles, n'alerte point une personne aussi avertie des mondanités que la duchesse.

Comment une fille peut-elle, sans s'informer plus avant, pleurer une mère qui elle-même pleure sa fille?

Tout ceci fleure le mensonge.

Cependant sous la houlette de Madame de Polignac, Marie, dont la ressemblance avec Monsieur de Champignelles est frappante, côtoie les dames de la cour dont la princesse de Clinay, dame d'honneur de la reine Marie-Antoinette. Mais elle est reçue également chez la vicomtesse de Noailles, la duchesse de Choiseul, chez les princes et les princesses de sang royal, chez les tantes du roi, chez le gouverneur de Paris, chez M. de Loménie archevêque de Sens, chez le baron d'Oigny directeur général des postes qui intercède en sa faveur auprès de sa sœur l'abbesse de Montargis.

On peut douter que d'aussi hauts personnages se soient laissés tromper. Comment imaginer qu'une intrigante puisse soutenir la conversation avec l'élite sans se trahir par une gaucherie, une erreur de goût ou de langage? D'autant plus que tous ces personnages étaient au courant de la malheureuse affaire de la famille de Champignelles. A la première bévue commise la haute société n'eut point hésité à éconduire cette madame de...

Comment expliquer que, connaissant son succès à Versailles, son frère n'ait point protesté? Si elle n'avait été réellement la marquise de Douhault, il serait intervenu:

- Cette petite dame boiteuse ne peut être ma sœur, elle est morte depuis plus d'un an.

On ne sait pas au juste quand Marie prit connaissance de son propre décès à Orléans, on n'en sait pas plus sur la façon dont elle apprit qu'elle était désormais sans fortune et sans nom: en fait elle n'était personne. Elle aurait dû en toute logique protester, se jeter aux pieds du bon Louis XVI auprès duquel elle avait ses entrées et qui l'eut certainement écoutée. Non elle accepta sans protester sa radiation du nombre des vivants.

Madame de Douhault était sortie de prison dans les premiers jours de juillet 1789. Quelque temps plus tard, la prise de la Bastille sonnait le glas de la monarchie et octobre voyait l'arrestation de la famille royale.

Suivant l'exemple du comte d'Artois, frère du roi, madame de Polignac émigra et la marquise de Douhault perdit sa protectrice et... ses revenus. Habituée à mener grand train, Marie fut vite couverte de dettes, c'était le moment que guettait son frère pour l'abattre définitivement. Il avait vécu jusque-là dans la crainte perpétuelle d'un scandale. Son anxiété s'était accrue quand il sut qu'elle disposait de puissantes et nombreuses relations. Pourquoi n'intervient-il pas pour démasquer la fausse Marie de Champignelles? Il ne dit rien, ne proclame pas que sa sœur est morte et que cette fausse marquise est un escroc.

Pourquoi? Peut-être parce qu'elle est réellement ce qu'elle prétend être. Sentiment confirmé par l'attitude du sieur de Champignelles dès que la malheureuse est isolée.

Il s'empresse de dépêcher auprès d'elle une femme de chambre perverse, Victoire Valtan. Celle-ci recommande à la marquise, empêtrée dans ses comptes, un expert en procédure à la solde de son frère. Ce dernier fait intervenir un avocat nommé Fleury et un commis à l'assemblée nationale très au courant des problèmes d'argent, le sieur Pâris. Les deux hommes proposent à Marie dépourvue de revenus, un prêt de mille livres en traites négociables, au taux d'intérêt de 15 pour cent. Ils conseillent à leur cliente d'utiliser une fausse identité afin disent-ils de prévenir une accusation d'usurpation de titres et de qualités et ce, tant que son état civil ne lui sera pas rendu. Terrorisée à la seule idée de retourner à la Salpêtrière, Marie se plie aux exigences de ses conseillers.

Elle hésite quelque temps sur le nom qu'elle choisira et se décide pour adopter le titre de marquise de Grainville et signera à l'avenir de ce paraphe toutes les pièces comptables.

Les deux compères proposent rapidement à leur cliente la signature d'un écrit par lequel elle donne pouvoir au sieur Pâris de signer en son nom tout document comptable ou administratif. En outre l'avocat s'octroie un salaire annuel de deux mille livres pour ses peines plus le logement au château de Belombre et un cheval nourri aux frais de la marquise. Les prétentions du conseiller sont telles que Marie habituellement docile et même indolente refuse de signer.

Furieux Pâris et son acolyte, insistent, implorent, font intervenir Victoire Valtan habituellement influente auprès de sa maîtresse. Mais celle-ci flairant le piège, reste inflexible et refuse son accord, même abritée derrière une fausse identité.

A la suite de quoi madame de Douhault est convoquée manu-militari au Comité de la section de Saint-Eustache pour y répondre du délit de faux et d'escroquerie.

Pâris y tient langage et plaide contre la Grainville, une voleuse prétend-t-il qui, sous le couvert d'une fausse identité, lui a soutiré de l'argent en offrant comme gage des propriétés de pure imagination.

Fleury, l'avocat véreux, présente un document portant sa signature et le cachet d'un notaire.

- Je n'ai pas signé proteste Marie affolée, j'ai refusé de signer ce document grotesque.

On lui soumet une signature: A.L. Ad. De Champinelle. - Ce n'est point mon nom, ni mon écriture. Il lui faut alors formuler une plainte en inscription de faux mais justifier d'abord qu'elle a les moyens de soutenir une longue et onéreuse procédure, déposer une provision, choisir un avocat. Hélas, elle n'a plus aucune ressource.

Le tribunal dépêche un enquêteur aux Tuileries pour s'informer de l'existence d'une madame Grainville attachée à la personne de madame Royale. La réponse évidemment est sans équivoque, l'accusée n'est qu'une audacieuse intrigante.

Ses deux accusateurs lui reprochant de les avoir escroqués de lettres de change, la marquise rend les traites d'une main tremblante de colère mais il manque 400 livres déjà utilisées pour payer quelques factures.

Pâris exige comme dédommagement la montre de l'inculpée et la bonbonnière en or qu'elle porte sur elle. Révoltée Marie jette les bijoux sur la table et retrouvant sa fierté s'écrie:

- C'est donc ici une caverne de voleurs!

Le délit est flagrant, il y a désormais injure à officiers publics dans l'exercice de leurs fonctions, escroquerie, reniement de signature, refus de s'inscrire en faux, identité variable, tantôt Grainville, tantôt Champignelles ou Champinelle.

La décision tombe comme un couperet: un mois de prison et le soir même madame de Douhault est écrouée.

Intrigué, Edmond, interrompit son hôte:

- Mais vous êtes un puits de science. Comment savez-vous tout cela?

- J'ai beaucoup appris par le bouche à oreille mais aussi par la lecture de l'œuvre de G Lenôtre: la femme sans nom.

- Ah! Vous aussi.

- Vous connaissez?

- Oui, j'ai lu cet auteur.

- Mais j'ai également consulté de nombreux ouvrages dont: la fausse marquise de Douhault, cause célèbre; précisa le vieux monsieur avant de poursuivre:

Deux hypothèses s'opposent:

Ou Marie est bien la marquise de Douhault et son frère, aidé de quelques-uns de ses proches a fait enfermer sa sœur sous un autre nom que le sien, en faisant annoncer sa mort et célébrer ses funérailles, ou une habile intrigante, assistée de complices sans foi ni loi, a tenté d'usurper un nom et une qualité auxquels elle n'avait aucun droit. Enfermée à la prison de la Force, la marquise élabore le

projet de revenir à Champignelles dès sa libération. Tous les habitants de la cité Poyaudine la connaissent et l'ont aimée. Elle peut espérer qu'ils la reconnaîtront malgré les épreuves et le poids des années. Par eux, elle peut envisager de rentrer dans ses droits et retrouver la possession de son château. Un conseiller (mandé par son frère) lui suggère que l'avis de quelques paysans ne prévaudra jamais face à la décision d'un tribunal.

Mais pour une fois Marie reste inflexible.

Le conseiller, gêné par cette décision qu'il craint, fait adresser au curé de Champignelles, une lettre signée d'un soi-disant vicaire de Vanves, le priant de lui fournir des renseignements au sujet d'une dame se disant née de Champignelles veuve d'un sieur Grainville. Cette femme de noble naissance, disait la lettre, s'étant rendue coupable d'escroquerie, on hésitait à la poursuivre avant d'être informé de sa véritable identité.

Le curé de Champignelles ne connaissant, et pour cause, aucune dame de Grainville, ne répondit pas.

A quelque temps de là, il reçoit une seconde missive, émanant cette fois de Anne-Louise-Adélaïde de Champignelles, marquise de Grainville.

Cette lettre truffée de fautes d'orthographe était ainsi libellée:

- Je vous écri pour vous soitée le bonjour, en même temps vous prier de uouloire bien m'envoyer mon estrai de baptême qui est de 1757, ainsi que mon estrai de mariage qui est de 1770 et l'estrai mortuère de ma défun mère qui est madame de Champignelles décédée en son château. Je vous prie de uouloire me marquer ce que ça ora coûtée; Vous obligeriez celle qui a lhonneur dêtre votre très humble.

Envoyée les estrais au sieur Pâris, commis à l'assemblée nationale, n° 100 rue Saint- Honoré.

Bizarre, la véritable marquise de Douhault avait un profond respect de l'orthographe, allant jusqu'à porter en permanence un petit dictionnaire afin de s'assurer de l'exactitude des termes employés par elle-même ou ses interlocuteurs.

Le procédé utilisé par ses ennemis était astucieux voire diabolique; en effet la véritable marquise maîtrisant parfaitement le français et sa difficile grammaire, la lettre ne pouvait émaner que d'une intrigante. Les dates ne correspondaient pas, Marie ait née en 1741; elle avait épousé le marquis de Douhault et non le marquis de Grainville. Sa mère n'était pas décédée.

Désormais madame de Douhault pouvait se présenter à Champignelles, le terrain était miné.

Après quelques mois d'atermoiements, Marie qui a retrouvé sa mère peu de temps avant son décès, bien réel celui-là, prend le coche d'eau qui, remontant la Seine et l’Yonne, l'amène à Sens chez l'archevêque M. Loménie qui est son parent. Son Eminence la reçoit et la retient à dîner.

Le 8 octobre, la marquise est à Auxerre et se loge dans une auberge chez le sieur Roblin, elle s'inscrit sous le nom de Mérinville. Elle n'a pas remarqué que depuis son départ elle est suivie comme son ombre par une femme vulgaire et insolente qui se présente au couvent des Bénédictines et demande à voir l'abbesse, madame de Jeaucourt. La visiteuse se présente comme étant mademoiselle de Champignelles, veuve Moutier de Mérinville, dame de compagnie de Madame Elisabeth, sœur du Roi. Dès les premiers mots la Mère supérieure pressent une intrigante et l'éconduit.

Une heure plus tard l'abbesse reçoit un billet:

- Je suis surprise de votre manière de pansé à mon aigart. Si vous aite inquiette de mon nom le voilà: Anne-Louyse Adelaïde de Champinel, veuve du sieur Moutiel de Mérinuille, dame pour a compagné madame Elisabeth.

Le lendemain la marquise de Douhault, dépourvue d'argent rend visite à madame Duvigneau, mère d'un député de l'assemblée nationale, laquelle lui doit depuis plusieurs années la somme de 1500 livres. Madame Duvigneau étant absente, c'est sa sœur madame Deschamps qui offre un acompte de 200 livres pour lesquelles Marie donne quittance. Mais l'abbesse très amusée du billet qu'elle a reçu n'a pu résister de le montrer à son entourage.

Toute la ville est bientôt au courant et aussitôt on fait remarquer à madame Deschamps qu'elle vient d'être victime d'une voleuse. Elle s'empresse de mander un huissier qui malgré les protestations de Marie, assurant qu'elle n'a jamais visité l'abbesse ni écrit de billet, est contrainte, sous menace de plainte, de rendre les 200 livres. La pauvre s'enfuit sous les quolibets de la foule attirée par l'incident et quitte immédiatement Auxerre.

Les moyens mis en oeuvre par l'adversaire pour perdre la marquise sont si grossiers qu'il est permis de penser que son frère la sait vivante et craint son retour à Champignelles où toutes ses relations la reconnaîtront. Mais si elle est réellement madame de Douhault, Marie accumule les bévues, en tout premier lieu en s'affublant d'une fausse identité et en s'octroyant encore des propriétés dont elle avait été dépossédée.

Cependant, seule, sans argent, sans défenseur, sans conseil, la demoiselle de Champignelles marche vers un unique but: son village natal.

A la fin du jour où elle subit ce terrible affront elle est déjà à Saint-Fargeau, gros bourg dont le président Le Peletier possède le grandiose et triste château féodal, assemblage de portes fortifiées, de tours énormes, qui se dresse sur la place du village.

Aucune voiture n'étant disponible à l'auberge où s'arrête la diligence d'Auxerre, elle se présente au château et se recommandant de son père, monsieur de Champignelles, sollicite, auprès du président en personne, le prêt d'une voiture. Sa requête acceptée, elle arrive à Champignelles dans la nuit. A l'arrêt devant l'hôtel du Cheval blanc elle demande au postillon s'il consent à la conduire jusqu'au château. Un épicier du village, Jacques Godeau, qui se trouve près de l'auberge est surpris d'entendre l'étrangère indiquer elle-même le chemin à suivre.

Au château elle est attendue: le régisseur Jean Loup a confié à un commerçant de l'endroit, Louis Roblin, avoir été avisé de l'arrivée prochaine d'une femme dont on aurait à se méfier.

Il reçoit la visiteuse pour lui signifier qu'il a ordre de n'accueillir personne sans autorisation écrite de monsieur de Champignelles, d'ailleurs le château est vide et inhabitable. La marquise n'insiste pas, cinq minutes plus tard elle est de retour au Cheval Blanc. Elle demande une chambre et déclare à l'hôtelier, Pierre Bauchet qu'elle est madame De Mérinville. Le lendemain matin elle se rend à la messe où des curieux la dévisagent. A la sortie de l'église, elle tend la main aux plus proches et miracle une personne puis deux, trois, enfin toute une foule reconnaît Mademoiselle Marie. On s'empresse autour d'elle et Jacques Godeau, l'épicier confie que la veille déjà, s'il ne l'avait cru morte, il aurait soupçonné la présence de la marquise. Une étrangère au village n'aurait pu connaître le chemin du château.

Les hommes se suspendent aux cordes des cloches et sonnent, sonnent les heureuses retrouvailles. La rumeur emplit le village: Mademoiselle Marie est revenue, mademoiselle Marie est vivante !

 

Pierre JEAUNEAU - Yonne, Terre de Passion
Ouvrage édité par l'auteur en Juin 2003


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