ICAONNA Le patrimoine touristique et culturel de l'Yonne
TOURISME
CULTUREL DANS L'YONNE
www.yonne-89.net
|
Qui se souvient d'Eux…
Evocation d’une époque révolue
Ces silhouettes familières sur nos chemins pierreux. Ces vignerons d'autrefois, le dos courbé, sous leur hotte, qui, chaque jour de l'année accomplissaient leur dure besogne. A pas pesants ils marchaient vers le coteau chaussés de leurs robustes brodequins, les guêtres de toile agrafées, posées dessus, pour protéger leurs pieds de cette terre, maintes fois remuée. Le pantalon de velours côtelé, la vareuse et la casquette, voici le portrait de mes ancêtres, l'image de mon enfance. La hotte faisait corps avec son homme, indispensable puisqu'elle contenait, les outils nécessaires aux divers travaux, et le "dîner". |
A l'époque, il n'était pas question de déjeuner. La
"patronne" avait préparé le simple repas; hareng salé, lard
ou morceau de "salé" (porc que l'on avait conservé, après la
tuée du cochon, dans un grand saloir de grès, avec du sel)
le quignon de pain, et le fromage séché sur la paille dans
un panier d'osier, accroché au plafond de la cuisine, sec et
dur d'une saveur exquise ; et, le précieux petit "baril"
contenant la "piquette", ce vin léger était une honorable
boisson. Le repas du soir c'était le souper, justement nommé, car très souvent, il consistait uniquement, en une soupe riche, parfumée et onctueuse. Le bonheur simple dont s'enivrait nos vignerons leur était vital et leur offrait au moment des vendanges les plus purs moments de joie. Dans l'attente de ces périodes heureuses, qui étaient l'achèvement d'une année de labeur, ils vivaient l'épanouissement de la nature. Le printemps apportait sa guirlande toute timide, dans le "chaume" les violettes sauvages, les pâquerettes qui parlaient à ces hommes, leur annonçaient que la nature aux paupières closes, allait se réveiller... |
Retour des vignes avec dans la hotte la brassée de sarments |
Leurs pas se faisaient plus légers. Le taillage terminé, douloureux
parfois, dans le froid et les matins de brume, leur offrait les
premières promesses.
Des bourgeons duveteux gonflaient, et miracle, laissaient apparaître
de petits raisins minuscules, l'espoir était né.
Le silence envahissait les lieux ; avant que la chevelure blonde,
des moissons ne frissonne au vent de l'été, et ploie, telle les
vagues de l'océan...
La vigne elle aussi prenait son essor, dans un alignement parfait
les sarments étaient attachés aux échalas, les ceps dépouillés des
pousses inutiles, afin de donner aux raisins, plus de force pour se
développer, et prendre sous le soleil d'été, cette magnifique
couleur pourpre, ou blond doré.
Pas besoin de montre, le vigneron avait ses repaires. A midi,
l'arbuste épineux qui protégeait sa "loge" reproduisait sans bavure
sa propre image.
Ces cabanes de pierres sèches, appelées loges dans notre région,
comme des sentinelles trapues, veillaient sur le vignoble. Par les
matins frileux, afin de manger avec plus de confort le dîner, ils
allumaient un feu, dans le fond était aménagé le foyer, les
brindilles et les sarments, combustible idéal, donnaient chaleur et
lumière. Très vite les flammes léchaient la paroi de pierres sèches,
la fumée s'échappait par un trou au plafond, réservé à cet effet.
Les panaches en volutes se perdaient dans le ciel laiteux.
Elles abritaient, en toute saison ces braves gens. Quand l'hiver
finissant engourdissait leurs doigts, quand le soleil dardait trop
fort, et quand le givre par les matins d'automne, envahissait les
coteaux, alors que l'on cueillait les derniers raisins.
Ceci marquait aussi leur présence, et la vie.
Vignoble arraché cabane disparue. |
La loge de mon père |
Le cheval était leur compagnon, le monde moderne n'avait pas
pénétré.
Quelques travaux de labour s'effectuaient ainsi, avec la petite
charrue, inventée à cet effet, tirée par un solide percheron qui
obéissait aux mots toujours les mêmes, de son maître, ainsi les
mauvaises herbes disparaissaient, mais entre les ceps c'est la
pioche qui finissait le travail. L'automne arrivait à petits pas, et
préparait sa palette de tons chauds et cuivrés ; jaune, brun, et
pourpre.
Soudainement tout changeait, la lumière, les senteurs ; les
vendanges approchaient, la joie était dans les coeurs. Le travail
d'une année allait bientôt, remplir les paniers et les hottes, de ce
raisin, qui exhalait un parfum délicieux, et donnait aux enfants
d’imposantes moustaches !
La nuit tombait vite en saison d'automne, et c'est au crépuscule,
que les voitures tirées par des chevaux, acheminaient jusqu'à la
grange, où attendaient béantes les grandes cuves de pierre, les
tonneaux ventrus minutieusement fermés et cerclés, plein de ces
grappes, déjà à moitié écrasées par un broyeur à main, et qu'avec
les pieds, le maître des lieux foulait chaque soir, afin d'obtenir
le célèbre breuvage.
La fermentation terminée, le lourd pressoir, tiré par un cheval,
était amené près des cuves. Les hommes à l'aide de seaux portaient
le raisin au pressoir, ainsi commençait le pressurage. Le vin
nouveau, coulait de la rigole, filtré à la sortie par un petit
panier d'osier, et s'écoulait bouillonnant, formant mille petits
yeux... prometteurs !
Dans la cour parfumée, au ciel, les premières étoiles
apparaissaient, le tic-tac du pressoir à cliquet se taisait. Le
vigneron contemplait d'un oeil satisfait l'accomplissement de son
oeuvre, en lissant sa moustache.
Sa nuit sera paisible.
Le ruellage |
Les vendanges |
L'hiver lui apportait le repos; quand un silence profond envahissait
le village, hormis les jours de vent, où la bise soufflait,
apportant avec elle, ses flocons de neige.
Quand la lumière du jour commençait à poindre, que le coq avait
lancé son premier cocorico, il réveillait les braises dans la
cheminée, buvait sa gorgée de "goutte (eau de vie) indispensable à
la santé !" coupait dans un grand bol une tranche de pain, souvent
rassie, versait dessus le café au lait, qui avait été préparé dans
la "chaudrotte" (récipient en fonte) accrochée à la crémaillère dans
la cheminée. Il chaussait ses sabots, boutonnait sa vareuse, et
gagnait la douce atmosphère de sa cave, où s’effectuaient maintenant
ses activités.
La cave, ce lieu très chaleureux |
Le pressoir à cliquet |
Et c'est en homme heureux, qu'il pensait, avec fierté à ses vignes, à son travail qui reviendrait et marquerait à nouveau chaque mois de l'année.
La bannière de Saint-Vincent |
C'est dans l'allégresse villageoise, que ces vignerons
fêtaient leur patron, le Saint Vincent, le 22 janvier. Jour
de liesse, l'accordéoniste et le violoneux faisaient danser,
leurs vigneronnes, entonnaient ensemble leur chant
traditionnel "Grand ..... guieu qu'eû métié dgalère que dëte
vigneron". J'ai revu par hasard dans un réduit de notre vieille église, la bannière souillée, en lambeaux du Saint Vincent. Il a perdu son habit de lumière et son âme. Abandonné à l'oubli, dans la mémoire des hommes d'aujourd'hui. Que reste-t-il de tout cela ? D'immenses étendues, sans âme, aboutissant sur l'horizon, sans que le vent ne fasse frémir un arbrisseau ! L'homme d'aujourd'hui a tout détruit, dans une parfaite indifférence les vignes et les loges ont disparu. La région n'était pas rentable, la relève n'était pas assurée. |
Plus de temps pour les sentiments, de nos
jours l'homme court, de plus en plus vite, après quoi ?
Le profit, mais peut être pas le bonheur... Avant, ces hommes dont
je viens de vous raconter l'histoire, ont laissé trace de leur
ouvrage. Trop nombreux rendant pénible les coups de pioches ils
avaient ramassé un par un les cailloux et les avaient transportés
dans leur hotte, ce qui forme aujourd'hui d'importants "tumulus"
appelés "mergers" dans notre région.
Les hommes au 21e siècle, avec une pelleteuse, à grand bruit de
moteur, chargent des camions pour divers travaux d'urbanisation, en
particulier, des autoroutes qui conduisent plus vite au pays du
soleil, mais bien souvent, hélas, le soleil n'est qu'un tragique
mirage...
Eh oui ! rentabilité, argent, démesure, mais dans tout cela, où est
le bonheur ?
Ces vignerons, d'un autre temps, menaient une vie saine simple,
heureux je crois, sans tentation et sans excès...
Un peu trop simple peut-être...
Textes, photographies : Suzanne DORARD
Edité par l’auteur 2003
Prix de l’aventure humaine
Ecole de la Loire « BLOIS » 2003
D'autres témoignages sur l'Yonne :