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La Vouivre

Ce conte nous emmène aux environs de 1750, un siècle avant la prise d’habits des religieux Bénédictins du Monastère de la Pierre-qui-Vire, fondé par le Révérend Père Muard à mi-distance de Saint Léger en Morvan(*) et de Quarré les Tombes.

A cette époque, dans ce coin désert et farouche se dressait un ancien autel druidique, constitué d’énormes pierres superposées.

En retrait du village de Saint Leger, habitait une femme dont l’avarice opiniâtre était connue de tous. Née pauvre, la vie de «la Vilaine» (car on la surnommait ainsi) avait basculé, le jour où par une habile tromperie, elle avait épousé un homme riche. Les mauvaises langues colportaient que « La Vilaine » avait encore aidé le sort lorsque, au printemps,  son mari était mort en lui laissant toute sa fortune. Ce brusque changement de condition avait encore avivé son désir immodéré d’argent. Devenue riche, elle méprisait les pauvres, se montrant incapable d’un geste de bonté.

Restée veuve, vivant avec son fils Pierre, un gentil garçon d’une douzaine d’années, elle inspirait néanmoins ce respect que confère l’argent dans nos campagnes. Ses journées se passaient en rêveries et elle se complaisait dans des chimères où son fils était voué aux plus brillantes destinées, dans des villes qu’elle lui dépeignait comme merveilleuses. Le petit Pierre, lui, ne comprenait pas vraiment les beaux discours de sa mère, plus occupé à penser à ses jeux.

En classant quelques papiers après la disparition de son mari, comme on le fait naturellement au décès d’un proche, elle avait fait la découverte d’un parchemin qui indiquait clairement la présence d’un trésor, à une lieue à peine de sa maison. Le document, à qui « La Vilaine » avait immédiatement attribué une authenticité certaine, faisait état d’un trésor fabuleux, à l’endroit précis ou de grosses pierres étaient superposées. L’une d’elles basculait tous les ans pendant la  première nuit de Novembre, libérant ainsi un passage qui permettait l’accès à une salle souterraine remplie d’or et de pierres précieuses.

Mais le parchemin indiquait également l’existence d’un gardien du trésor ; il s’agissait, d’après la description, d’un monstre mi-serpent, mi-dragon : la « Vouivre ». Son corps était couvert d’épaisses écailles qui la rendait invulnérable, et son énorme gueule, d’un rouge vif, crachait le feu. Le monstre se déplaçait en rampant ou en volant avec une rapidité surprenante et un bruit caractéristique dû à ses écailles. Le document précisait que la « Vouivre », animal diabolique veillait jalousement sur son trésor, et qu’aucun de ceux qui s’étaient risqués à l’intérieur de son antre n’étaient réapparus. Elle sortait de son repaire une fois par an, pendant la première nuit de Novembre, (début de la période ou les nuits se rafraîchissent), certainement pour apaiser le feu intérieur qui la dévorait. La légende faisait aussi allusion, pour expliquer cette date, à une ancienne fête Gauloise, le Samain, fête ou les Dieux assuraient la liaison entre les Vivants et les Morts. La Vouivre, incarnation du mal, était-elle dérangée par la présence de quelque esprit ?

« La Vilaine » qui, après avoir lu et relu le parchemin, avait d’abord frissonné à chaque évocation du monstre, faisait maintenant appel à sa raison ; comment une telle « chose » pouvait elle exister ? Ne s’agissait-il pas plutôt d’une légende rapportée ici pour faire peur aux plus téméraires ? Plus le temps passait, et plus elle se disait que cette « Vouivre » ne pouvait pas exister, concentrant toute son attention sur la description qui était faite du fabuleux trésor.

De sorte que, lorsque la fin Octobre approcha, la femme avait pris sa décision : la prochaine nuit de Toussaint, elle irait à la découverte du trésor tant convoité.

 Bien sûr, il n’était pas question de laisser le petit Pierre seul. Aussi, dès que la nuit fut tombée « la Vilaine » accompagnée de son fils prenait la direction opposée au village, empruntant le chemin qui mène aux vestiges de l’autel druidique. La nuit était claire et froide, confortant encore la femme dans sa décision.

Le trajet jusqu’à l’endroit supposé du trésor ne comportait pas de difficultés, hors la luminosité réduite de cette nuit étoilée. « La Vilaine » marchait prestement, tirant son fils par la main, tant sa hâte et son excitation étaient intenses. Les grosses pierres superposées apparaissaient déjà, éclairées par la lune : la vision nocturne de l’endroit saisit la femme, qui pour la première fois douta de son entreprise. Quelque chose de surnaturel émanait de ces lieux : était-ce les vestiges de cet autel qui témoignait des croyances remontant à la nuit des temps, ou simplement la présence  de la « Vouivre » ?

L’endroit était pourtant désert, pas la moindre trace d’un monstre. La femme et l’enfant firent donc le tour de l’édifice. La Vilaine était au comble de l’excitation ; son cœur cessa de battre lorsqu’elle constata qu’en pivotant, l’une des pierres avait libéré un passage. La légende du parchemin s’avérait  exacte !

La femme cacha son fils dans une niche formée par deux énormes rochers, à une vingtaine de mètres de là, et ravivant la flamme de sa  lampe à pétrole, elle se présenta à l’entrée du souterrain : un court raidillon débouchait dans une caverne. La femme se figea devant un spectacle inattendu: là, éparpillées à ces pieds se trouvait une multitude de pièces d’or. Etalant son manteau par terre « La Vilaine » commença à y entasser l’or, raclant le sol de ses mains avec avidité. Toute à son travail, elle se félicitait de sa hardiesse. Comme elle avait bien fait de ne pas croire à cette histoire de monstre ; le trésor était là, à ses pieds et elle n’avait qu’à se baisser pour faire une véritable moisson de pièces d’or. Ses rêves les plus merveilleux lui revenaient en mémoire : une existence bourgeoise pour elle et son fils, dans des maisons luxueuses et des villes illuminées…

C’est à ce moment qu’un vrombissement  la tira de sa rêverie ; le bruit, que la femme ne parvenait pas à identifier, semblait s’amplifier et se rapprocher. Effrayée, elle rassembla  les quatre coins de son manteau, formant ainsi un baluchon contenant son trésor, prit sa lampe et se précipita vers le passage par lequel elle était entrée. La lune était masquée par un nuage et « La Vilaine » scrutant l’obscurité ne put distinguer des alentours, que les quelques mètres éclairés par le halo de sa lampe. Pressentant un danger, elle décida de retrouver son fils dans sa cachette et entreprit donc de contourner l’édifice. Le bruit, qui devenait oppressant, et lui semblait maintenant provenir des entrailles de la terre, cessa brusquement en même temps que retentissait un vacarme assourdissant : la femme comprit à ce moment que la pierre venait à nouveau de pivoter et que le passage s’était refermé. Elle courut jusqu’à la cachette où elle pensait retrouver son fils, mais celle-ci était vide. Appelant son enfant, elle chercha à la lueur de sa lampe un autre rocher : tout s‘était passé si vite ; elle aurait pu confondre. Non, elle en était maintenant certaine, c’était bien là qu’elle l’avait caché ; elle lui avait pourtant recommandé de l’attendre et de ne pas bouger.

Il aura eu peur de « ce  bruit » , pensa-t-elle, et sera rentré seul à la maison. Se raccrochant à cette idée, essayant de se rassurer, elle commença le chemin du retour. Son manteau en forme de baluchon lui pesait lourdement et elle prit peu à peu conscience du froid glacial qui régnait : aussi sa progression ne fut-elle pas aussi rapide qu’elle l’aurait souhaité. Arrivée chez elle, son premier mouvement fut de se ruer dans la chambre de son fils, qu’elle trouva vide. Hélas, après avoir fouillé la maison et appelé plusieurs fois, elle dut se rendre à l’évidence : son enfant avait bel et bien disparu.

Folle d’inquiétude elle résolut d’attendre le jour pour retourner à l’endroit de la découverte du trésor et retrouver la trace de son fils. Pour tromper son angoisse, elle décida de mettre son or en sécurité. Elle avait posé son baluchon à terre en rentrant et elle le retrouva près de la porte. Il lui sembla qu’elle allait défaillir quand elle constata que les pièces d’or s’était transformé en pierres et elle pressentit aussitôt quelque diablerie.

La suite des évènements ne fit que confirmer ses doutes, car malgré ses recherches et ses appels, une semaine, plus tard l’enfant demeurait introuvable. Chaque jour pendant un mois elle retourna à l’endroit ou son fils lui avait été enlevé, et implora le ciel de lui rendre son enfant. Puis, terrassée de douleur et réalisant alors avec peine ce qui lui arrivait, elle resta cloîtrée chez elle, et pendant de longues semaines  on ne la vit pas au village.

Enfin un jour elle se résolut à rendre visite  à une vieille femme qu’on disait un peu sorcière. Celle ci l’accueillit froidement en lui disant connaître le motif de sa visite. « Tu as été punie, lui dit-elle. La Vouivre t’a pris ton enfant. Il te sera rendu dans un an, jour pour jour, à l’endroit même où il a disparu, mais il te faudra devenir différente, si tu veux le revoir ».

Le message était clair et la femme pris peu à peu conscience de l’aveuglement auquel sa cupidité l’avait conduit. Petit à petit, on la vit de nouveau au village venir aider les plus démunis et soutenir ceux que le malheur avait durement éprouvé. Mieux, elle n’hésita pas à faire preuve de générosité et son visage perdit bientôt l’air hautain et méprisant qu’on lui connaissait auparavant.

Aussi un an plus tard, lorsque la nuit fut tombée, la femme était-elle au rendez-vous, le cœur serré de contrition. Arrivée face à l’autel druidique, elle appela le prénom de son fils, espérant au plus profond d’elle même que le miracle allait se produire. Elle constata que cette fois encore le passage était dégagé, permettant l’accès au trésor, et elle ne put retenir un cri lorsque son enfant apparut à l’entrée de la caverne. Elle le prit dans ses bras, réalisant à cet instant qu’elle tenait là son véritable trésor. Le petit Pierre, lui, ne semblait pas avoir été affecté par cette séparation et il parla à sa mère comme s’il venait juste de la quitter. Il semblait néanmoins avoir légèrement grandi.

La femme et son fils reprirent une existence paisible, allant tout deux au devant des plus nécessiteux pour les aider… et la Vilaine perdit peu à peu ce surnom qui désormais lui convenait si mal.

   

(*) qui deviendra Saint Leger Vauban à partir de 1867

Claude RICHARD

 


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