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La maison de Grand Père

On y arrivait, par une ruelle gris noir qui semblait déambuler sur des catacombes, mais qui en réalité débouchait sur un petit jardin de curé des plus adorable où toutes les plantes mélangeaient leurs couleurs en touches savantes. La palette d'un peintre en aurait frémi de jalousie.

Les casques de pompiers mauve-foncé se pavanaient près de majestueuses couronnes impériales orangées. Plus loin les coeurs de Marie agitaient leurs clochettes roses et blanches au gré de la brise. Le grand pommier vert et brun avait pour chausson un tapis de primevères bigarré, qui se poursuivait jusqu'au portillon d'entrée de la cour. Là une bordure de désespoir du peintre faisait une haie d'honneur à la maison blottie au fond du bosquet de lilas.

Elle apparaissait avec ses volets grenats, ses murs blancs, ses fenêtres aux rideaux immaculés qui riaient parmi les pots de géraniums, tandis que la vigne vierge s'amusait à entortiller ses vrilles au montant de la tonnelle. Les abeilles alourdies de suc menaient ballet infernal dans le calice des fleurs, sans pour cela réveiller Moumoune la chatte blanche et noire, qui cependant sursauta au bruit que fit le portillon en se refermant. Elle ouvrit un oeil, étira une patte, puis l'autre, se mit debout en arrondissant le dos pareil à un petit pont romain, et s'en alla au jardin potager d'un air réprobateur en dédaignant par un ... Pfou ... ! Lisette, l'autre chatte qui n'avait que trois pattes, plus pacifique, elle cligna ses yeux d'agate, sans comprendre cette agressivité, la regarda un instant, et se remit en boule, essayant de reprendre son rêve, où il était question de belles souris bien dodues. Elle n'entendit même pas les pierrots se chamailler en lançant des cris stridents dans l'aubépine parée de petites fleurs roses enrubannées d'un collier de verdure.

Le soleil un peu coquin saupoudrait d'une myriade de diamants les feuillages et par endroit laissait filtrer un rayon un peu plus curieux, puis s'attardait sur la barrière moussue où étonné un scarabée doré chauffait ses vieilles douleurs.

Un chapelet de fourmis, actif petit bataillon, bien aligné, s'infiltrait près d'un pied de giroflée, qu'une terre bien fine avait rehaussé de curieuse façon.

Dans le bûcher, autrefois maison d'habitation à pièce unique, au sol de terre battue où ne subsistait qu'une cheminée au fond à droite, s'entassaient les niches aux lapins russes tout blancs à bout de nez noirs, ils quémandaient toujours une poignée d'avoine stockée dans un vieux fourneau économique, les souris en étaient désespérées car elles ne pouvaient pas faire l'ascension de l'engin pour s'y régaler.

Seule ouverture, une lucarne carrée éclairait l'établi rempli d'objets hétéroclites que nous n'avions pas le droit de toucher.

Par une échelle, on accédait au "sino ", espèce de grenier où s'entassait pour l'hiver le foin qui gardait les senteurs du bel été. Enivrant parfum de jadis, au mélange de luzerne et de sainfoin, parfois il faisait bon y dormir, quand nous avions fait une bêtise, et que la fessée était promise.

Dans l'autre bûcher situé dans la ruelle qui allait au café chez Nononcle, encore des lapins, ceux là étaient en attente pour finir en civet ou être vendus.

Pauvres lapins qu'on assommait d'un coup de gourdin, puis que l'on pendait par une patte pour leur arracher un oeil, le sang giclait dans un bol où l'on avait pris soin de mettre du vinaigre, ensuite avec un couteau on entaillait le pourtour des pattes et l'on tirait la fourrure jusqu'à la queue, ainsi déshabillé, on bourrait la peau de paille en attendant le passage du marchand de peaux de lapins.

Dans ce bûcher, il y avait aussi l'objet interdit, un immense baquet de bois qu'on appelait la cuve, munie d'un robinet " le cocheri " elle servait pendant les vendanges à mettre le raisin.

Le temps des vendanges ...! Que de joies en perspectives pour nous. Dès le matin grand branle-bas, tout le monde partait très tôt avec le cheval et le tombereau rempli de feuillettes et de paniers. Le dessus des tonneaux était ouvert pour mettre le raisin que remplissait le " hotteux " qui arpentait les perchées au gré des vendangeurs qui criaient " c'est plein, eh ...' Ho ! c'est plein " On repartait à la maison vider les feuillettes dans la cuve, à l'aide d'un pilon, gros morceau de bois avec un long manche les hommes écrasaient le raisin, quelquefois pour rire, ils se servaient de leurs pieds. On retournait faire le plein, gamins piaillant, à qui serait grimpé le premier dans le tombereau.

Ramassez les grumes ... !

Ramassez les grumes... ! Allons dépêchons ... ! La nuit va venir ... ! Et l'on cueillait ...! Et l'on cueillait le noha, le bacot en chantant " Ils sont dans les vignes les moineaux, ils ont mangé le raisin, et laissé les pépins ...".

Moins drôle, quand il pleuvait, ce qui arrivait souvent, le tombereau "s'enhottait" comme on disait ; allez hue ... Hue gamin, mais rien n'y faisait, si bien qu'un jour le Taupin se retrouva entre les pattes du cheval tout dégoulinant de boue en jurant et tempêtant. .

Les vendanges duraient plusieurs jours, la cuve se remplissait, mais nous, pas le droit de voir, interdit de monter à la petite échelle, car si on tombait dedans : on était mort ... !

Pas très rassuré, mais curieux, on entrouvrait la porte, ça sentait bon ... Mais ça piquait un peu le nez, le raisin qui bouillait, faisait des gloucs ... gloucs bizarres. Enfin le grand jour arrivait, le broc rose refaisait son apparition, on tirait le vin doux, timbale en main, en procession, nous attendions la distribution. Un mince filet rouge-sang s'étirait, semblant nous narguer.

Notre impatience étant si évidente ... Enfin servi ... Hum ...! Que c'était bon, bien sucré ... Encore ... ! Encore ... ! Moi aussi. Souvent ces petits abus se terminaient par une bonne courante ...! " C'est bien fait pour vous bande de chenapans " disait Grand-père en riant dans sa moustache.

Après plusieurs jours, le vin continuait de bouillir, on le changeait de tonneau et sur le résidus on versait de l'eau, encore un temps de macération et on dégustait la piquette, petit vin clairet que les hommes buvaient de suite, car il ne se conservait pas longtemps.

En passant au fond de la cour, sous la tonnelle, on accédait au jardin potager, il sentait bon le thym et la ciboulette, en plaque vert-clair et vert-foncé s'étalait le cerfeuil et son cousin le persil, plus loin les immenses feuilles de rhubarbe nous faisaient de superbes éventails à la saison des confitures. Religieusement chaque pot était recouvert d'une feuille blanche trempée dans la goutte, en guise de couvercle un papier journal serré avec une ficelle, ensuite c'était l'ascension, les pots étiquetés par année, trônaient sur le dessus de l'armoire, les plus vieux devant, les nouveaux derrière.

Les groseilles à maquereaux, au goût acide, bien rebondies grenat truffées de noir étaient difficiles à cueillir, les autres, en grelots rouges ou blancs, égrenées et sucrées devenaient supportables pour les papilles.

Plus loin, les tentacules des potirons jaunes ou verts s'agrippaient à nos mollets roses, si on avait le malheur de traverser leur domaine.

Il y avait aussi la planche de haricots verts à cueillir tous les matins ... ! Et surtout ne prendre que les petits, alors là,... invasion d'aoûtats, petites bestioles invisibles qui grimpaient aux jambes et piquaient. En rentrant séance de badigeons au vinaigre, ou à l'eau de Cologne. Grand-père de son air moqueur disait " moi, je les entends avec leurs sabots, Ecoutez-les ... ".

Au printemps les arbres fruitiers tout endimanchés avec leur houppelande blanche et rose. En été, croulants sous le poids des belles reines claudes bien jaunes, craquées par la pluie trop violente, coquines, entr'ouvraient leurs corselets pour faire voir leur chair appétissante. Les quetsches violines plus sérieuses gardaient bien secret leur parfum, et finissaient quelquefois sur le tambour de la cave, pour devenir de succulents pruneaux, bien séchés au soleil.

Et toi vieux pommier, à branches fourchues, servant d'échelle pour l'escalade. Combien de fois, tu fus mon refuge, quand mon regard fouillait l'horizon, et que j'imaginais mon prince charmant arrivant sur son grand coursier blanc.

Oh ! Jardin de l'enfance ... Tout frissonnant de rosée, où éblouissant, quand la douce pluie de printemps faisait éclater tes bourgeons, et que plus loin l'arc-en­-ciel enjambait la prairie, et venait se perdre dans les lilas en jetant pêle-mêle ses mille couleurs.

Vieille maison, dans tes murs flottent encore les chères images du passé, il me semble que je vais pousser la porte de la cuisine, et retrouver à droite la table qui servait d'évier avec la cuvette à carreaux rouges et blancs, le seau rempli d'eau tirée du puits. Près de la fenêtre à tabatière, toujours active, la machine â coudre avec son ronron régulier signalait Grand-mère en train de " ravauder ". Au retour la commode, avec au-dessus un vaisselier, où était disposé un magnifique service à café en porcelaine blanche et surtout, " la salière, poivrière et moutardier " représentant mère chatte et ses deux petits chatons, c'était pour moi une véritable adoration. " Si j'avais pu y toucher ".

Accrochées aux murs, deux superbes toiles représentant des paysages de jour de tempête, ou de pêcheur sur un étang, sans oublier le grand plat de Malicorne, sous un arbre un petit garçon faisait pipi ; Maman avait trouvé cela fort indécent et avait gratté ce qu'il ne fallait pas trop regarder.

Au-dessus de la porte de la chambre, une autre faïence, puis dans un renfoncement du mur " Le rêve pour jouer à cache-cache, l'alcôve " où trônait le lit de Grand-père avec ses immenses rideaux mauve, rose et blanc à petites fleurs, l'énorme édredon sous lequel on mettait dans un panier les petits poulets tout frais éclos, en attendant que tous soient-là, pour être redonnés à la mère poule gloussant de fierté dans un grand picotin rempli de paille. Un grand buffet haut où se rangeait la vaisselle, et les produits alimentaires, à côté la cheminée avec son four, autrefois le pain était cuit sur place par chaque famille, remplacé ensuite par la cuisinière à bois. Grand-père très frileux se chauffait en lisant, les pieds sur la plaque de côté, sur les genoux Moumoune aussi frileuse, qui un jour fit rôtir sa magnifique fourrure blanche.

Au milieu la table carrée à la toile cirée représentant des chevaux, et des beaux seigneurs. Je les imaginais s'en allant vers des pays que je ne connaîtrais peut-être jamais, tout cela m'amusait, et j'en oubliais de manger ! Aye ... Aye... La pesée est de trop, disait Grand-père, en se moquant, mon assiette toujours pleine.

Pépère Menin, nom magique, premier grand amour de petite fille, moustache retroussée, cheveux blancs de neige légèrement frisés, yeux bleus perçants qui intimidaient quand ils se posaient sur vous, plutôt petit, mais majestueux comme un grand seigneur, quand le dimanche il s'en allait à la messe avec canne, cravate à Lavallière, veston noir cintré et pantalon à rayures noires et blanches. II ne fallait pas broncher, sinon un coup de casquette atterrissait sur le bout du nez.

J'entends encore " Pépée, il faudra me rapporter des livres de la bibliothèque, je n'ai plus rien à lire ". Jules Verne n'avait plus de secret pour lui, il disait " Toi, Petite, tu verras les hommes sur la lune ". Regardes, regardes la nature, elle te dira beaucoup de choses.

La matin, qu'il était bon le café au lait à la chicorée bien bouilli sur le coin de la fontaine (1), dégageant une odeur de caramel, et de tartines grillées .

Le soir, le pot-au-feu bien mijoté dans le faitout émaillé rouge.

Les jours de fête, la tête de veau bien rose, les oeufs à la neige, la mousse au chocolat, la brioche dorée et luisante, et la traditionnelle tarte à la bouillie.

Au dessert les chansons s'égrenaient, l'air des Saltimbanques, l'Etoile d'amour, ou Bonjour Ninon. Même Papa qui chantait un peu faux se lançait dans la Marseillaise " en Breton ".

Au-dessus de la table, la suspension qui montait ou descendait, abritait la lampe à pétrole qui propulsait sur les murs des ombres inquiétantes. Quelquefois on s'amusait à faire des chinoiseries, suivant la position des mains apparaissaient des oiseaux, ou des bêtes bizarres qui se mordaient le nez. Ces soirs-là, l'heure du coucher était retardée.

Pour grimper dans le lit, il était si haut, que l'on s'y prenait à deux fois avant de se pelotonner dans le lit de plumes, qui depuis l'été gardait la bonne odeur de soleil, car c'était la tradition : le sortir deux ou trois fois pour faire gonfler la plume, à cette époque il était encore plus haut, nous ressemblions à des oisillons dans leur nid, enfouis sous l'édredon bien gros aussi, ne voyant qu'une tête blonde ou brune engoncée dans l'oreiller lui également bien dodu.



L'hiver, si l'on ne prenait pas soin de mettre une bouillotte, ou une brique, on gelait dans le lit, qui du bel été, ne gardait qu'une odeur de thym, de pomme ou de confiture tandis que le feu dans la cheminée crépitait tout joyeux, accompagné du tic tac de l'horloge.

Parfum d'antan, parfum grisant, tu arrives dans ma tête comme une aura où fourmillent les chères ombres qui peuplent mon rêve, des voix me disent " si tu ne manges pas ta soupe, le " Lentrimeuche " passera, " Ecoutes ". C'était la girouette sur la cheminée qui tournait désespérément par grand vent et accentuait les terreurs d'enfants.

Malgré cela, qu'il faisait bon, les soirs d'hiver, sous la lampe, écoutant sagement les histoires, ou ânonnant les leçons, tandis que Grand-père trop fatigué, s'enfermait dans l'alcôve, en ayant pris soin de tirer les rideaux. Bientôt un ronflement sonore emplissait la pièce et nous faisait rire ; sans bruit chacun regagnait son lit douillet, la tête remplie de chimères.

L'espace d'un instant, j'ai arrêté l'horloge des ans, je suis redevenue la petite fille impérieuse et mutine, l'adolescente troublée par la découverte de l'amour au détour d'un chemin ou dans la profondeur d'un regard.

Si dans mon pays quelques sentiers ont disparus, certaines maisons bien ancrées dans la terre sont toujours là, avec leur histoire, chacun les classe et les ennoblit à sa manière.

Celle-ci, Henriette Chaise nous attendait pour réciter le cathê.

L'autre presque en face, la ferme de Pierre et Madeleine Chaise. Du pigeonnier aux granges et au jardin, rien ne nous paraissait impossible à explorer, les parties de cache-cache osées ne nous faisaient pas peur. Ce fût la débâcle quand James quitta la France avec ses parents pour Madagascar.

Peu de temps après, Maryse Gateau partit vers Sens. Pas drôle pour moi, je traînais comme une âme en peine.

Puis l'oncle Marceau vendit son café. J'ai toujours regretté la vente de cette maison ayant appartenu à mon Grand-père. Tout cela bouleversa ma petite vie.

J'arrive à la mare à Taupin, il n'y a plus d'eau, les saules ont disparus depuis longtemps, c'est dommage, cette pièce d'eau embellissait ce coin de pays.

Je descends sur la place, le monument aux morts n'a pas bougé. Nous étions là un certain jour après l'armistice à une fête militaire que Papa avait organisée avec ceux du maquis, nous brandissions fièrement notre petit drapeau, bien serrés près de Madame Verret l'institutrice qui nous faisait réciter :

" Aux morts pour la patrie "

Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d'eux passa et tombe éphémère,
Et comme ferait une mère,
La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau.

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
A ceux qu'enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourront comme ils sont morts !

Émue, il me semble entendre, et voir au-delà des nues, la fanfare de Sergines interpréter le chant des Partisans, et monter dans le ciel les couleurs de la France ...

A pas lents, je me dirige vers la maison qui semble, comme autrefois, me dire " Viens ".

La lampe est encore allumée ... ! Maman m'attend.

 

Note:
(1) fontaine : réservoir où l'on mettait de l'eau dans les anciennes cuisinières

 

Bernadette PAILLARD
A travers sentes et plaines
Imprimé par l’auteur 4ème trimestre 1998


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Accès Recueil 4

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