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Poël Say

Poël Say tiré du celte, puits et haies, serait devenu Puisaye. Le langage imagé de nos anciens transforma les deux mots en une expression de deux syllabes "pouéser" qui signifie prendre l'eau par le pied, ce qui était relativement fréquent sur nos terres humides.

Les villages de cette région calée entre Nivernais et Gâtinais ont entre-eux beaucoup de similitude sans vraiment se ressembler. Juchés au sommet d'un vallon ou blottis au fond d'une vallée, ils rassemblent leurs maisons basses autour de l'église dont le fin clocher tendu comme un doigt vers le ciel, symbolise la quiétude. Beaucoup d'entre-eux gardent la marque des ans dans leurs pierres vieilles de plusieurs siècles. Parfois un petit souffle de jeunesse fait pousser quelques constructions neuves sur leur périphérie mais ils gardent au plus profond d'eux-mêmes l'âme paysanne. L’harmonie des cœurs et de la nature se retrouve au fond des chemins creux, à l'ombre des futaies odorantes, sur les rives du ruisseau, là où chante l'eau claire ou près des étangs mystérieux emplis par les mille bruits de la vie intense qui habite les eaux profondes et la forêt proche.

Thomas aimait le contact du monde champêtre, de la nature mais aussi des hommes. Quand il passait le seuil d'une ferme aux murs croulants, il trouvait dans le logis vétuste, parmi le désordre d'objets utilitaires, la chaleur rassurante de l'amitié. On n’avait presque rien mais on l'offrait. Il avait des relations privilégiées avec les gens de la terre mais aussi avec les villageois. On lui confiait ses joies et ses peines, on lui racontait la vie de la communauté. Il ne faisait que de brefs passages mais il connaissait tous les anciens de Charny et bien au-delà. Le père Meunier, seul dans sa masure sans confort au « Creuset », avec sa grosse moustache rousse et ses yeux ronds toujours étonnés, guettait sur le seuil de sa demeure le passage de l'ami qui viendrait meubler sa solitude. Les jours étaient bien longs pour le vieil homme. On ne connaissait pas encore la télévision et cet ancien ne possédait qu'un vélo aussi fatigué que ses vieilles jambes. Le passant était le bienvenu. Le père Meunier veillait à longueur de journée, espérant toujours la visite du voisin ou de l'ami. L’hiver il offrait la goutte qui brûlait la gorge mais qui scellait l'amitié. L’été il s'en allait quérir dans le seau, pendu au frais à la chaîne du puits, la bouteille de cidre que le visiteur acceptait par courtoisie. Pauvre, l'homme n'avait que son bon cœur; sa boisson n’était qu'une bibine vinaigrée certaines années, huileuse les autres. Mais assis face à son interlocuteur, le bonhomme planté sur sa chaise paillée, retrouvait une certaine vigueur. On parlait de tout et de rien, mais on parlait. Il était fatigué de regarder paître les vaches de son voisin Wawrzyniak. Elles levaient la tête pour l’observer avec leurs gros yeux inexpressifs tout en poursuivant leur masticage, semblant se nourrir de l'air du temps. Il leur parlait parfois comme on parle à son chien. Mais de chien il n’avait plus que souvenance; il était mort, à bout de souffle, son fidèle compagnon, et le vieux paysan n'avait pas éprouvé le besoin de le remplacer. Il avait trop peur de partir en le laissant seul. Car sous sa veste bleu de chauffe élimée battait un cœur énorme et généreux. Il l'avait pleuré son "Pataud" et il avait décidé qu’il n’en aurait plus jamais d'autres.

Plus âgé encore, le père Biard, qui habitait une humble maison près du carrefour de la route de l'abattoir, devenue depuis route des étangs, pratiquait un humour communicatif. Il avait pour compagnon un petit cheval et pour loisir la pratique des bons mots. Il s'exprimait en un charmant patois qui fit le ravissement des générations qui lui succédèrent. Il est assez difficile de nos jours d'imaginer la vie de ces années d'avant guerre, la dernière, celle de 40. Pour une majorité de ruraux, peu de moyens de locomotion, hormis la bicyclette ou le cheval. Pas de télévision, peu de radio et de téléphone, très peu d'automobiles, pas d'ordinateur, pratiquement aucun loisir. On ne voyageait que par la pensée et les vacances n’existaient pas. La vie était autre, on vivait néanmoins heureux. Les exigences étaient moindres de même que les contraintes. Avec plus de liberté on profitait peut-être aussi bien de la vie.

Aussi lorsque le pée Biard rencontrait un vieux compagnon c'est tout naturellement qu'ils se remémoraient les bons moments du passé, les bons et les autres.

- Tu te souviens des jours de batteuse quand on faisait des journées de 12 à tchinze heures ?

- Et pis d'pus. On pâtait pâs en route, mais I'darnier jour on avait quand même du bon temps.

- Quand l'patron y disait: on arrose la fin des battages, on beuvait le cit au sieau et la goutte à l'étchuélée ! (Ce qui en bon français contemporain voulait dire: on buvait le cidre au seau et l'eau de vie à l'écuelle)

Mais l'humour du vieil homme prit toute sa dimension vers les années 1943 quand les troupes d'occupation allemandes quittèrent la région en qualité d'occupant sédentaire pour n’y revenir qu'occasionnellement pour des interventions de police ou de répression.

Regardant un convoi en stationnement devant la halle, le père Biard avec sa bonne tête sympathique de Français moyen s'approcha d'une automitrailleuse et tapotant le blindage du bout de sa canne, il lâcha paisiblement à haute et intelligible voix devant quelques badauds ébahis mais ravis:

- J’vous dis pâs à la rvoyure les gaux. On est pâs prêt d’vous rinviter !

Ni le père Biard ni ses compagnons ne parlaient des conditions de travail. Ils y étaient habitués et acceptaient leur sort. A l’époque des gros travaux, ils pouvaient se lever le matin à 3 heures pour panser, alimenter et abreuver les chevaux avant le départ aux champs. Le soir on ne dételait qu'à la tombée de la nuit et l'été les jours n’en finissent pas. La pause du midi se résumait en une brève interruption permettant de donner leur ration aux chevaux. Les hommes devaient s’occuper de leur attelage avant de passer eux-mêmes à table. Lorsque le maître de maison fermait son couteau il n'était point question de rester assis; tout le monde se levait, repas terminé ou non. C’est plus tard que commença à s'améliorer la condition des ouvriers de culture. Dans certaines places on fit alors "mézienne". C’est ainsi qu'on appelait la sieste à la coupure de midi, destinée à ménager, les jours de fortes chaleurs, les chevaux bien plus que les hommes.

Lucien Favot, autre figure du village, passionnant bonhomme qui passait pour un incorrigible menteur était surtout un habile bluffeur doté d'un humour quasi inégalable. Il était connu au-delà des limites du canton pour ses facéties mais aussi pour son dynamisme, sa joie de vivre et ses compétences professionnelles. A Thomas, il laisse le souvenir d’un homme courtois, trapu, doté d'une belle assurance, s'asseyant les soirs d'été, devant sa quincaillerie, rue des Ponts, la carabine 9 mm à la main, tirant les rats qui, à la nuit tombante, sortaient du vétuste abattoir, situé de l'autre côté de la rue. Dans la première moitié du vingtième siècle les abattoirs situés à l'ouest du bourg, à deux pas de la rivière, n’existaient pas et les bouchers pouvaient abattre et dépecer. La boucherie Bergère de la rue des Ponts, (actuellement M. et Mme Jobert) possédait donc son abattoir privé situé entre la poste et les garages de l'angle de la rue des écoles. Au moment où sont écrites ces lignes (juillet 2001) il faut situer cet abattoir entre le cabinet des kinés et la pizzeria.

La vermine attirée par le sang et les déchets pullulait d'autant plus que l'hygiène de l'époque n’était pas celle exigée de nos jours. La circulation sur la vole publique était fluide, surtout à heure tardive et le père Favot homme lucide et responsable ne prenait pas de risque inconsidéré. Son intervention, sans danger pour autrui, contribuait à assainir le quartier.

Monsieur Favot malade, dut consulter. Sa robuste constitution lui jouait un vilain tour dont il n’avait pas l'habitude, niais l'âge use les plus solides. Le docteur ordonna la suppression du tabac, de ceci et de cela.

A l'énoncé du diagnostic le père Pavot sembla réfléchir et prenant son temps demanda à brûle-pourpoint en traînant sur les deux dernières syllabes :

- Est-ce que j'ai encore le droit de péter ?

Nos vieux étaient des farceurs, tel le père Loffroy (papa de Madame Mariette Raignault) qui, descendant à pied de sa ferme des «Girards » en haut de la côte des « Cochards », répondit le plus sérieusement du monde à un jeune gendarme en mai d'autorité lui demandant des pièces d'identité:

- Des papiers ? Mon pauvre gars j’en ai eu besoin en route. Y'a des fois où il faut bien s’essuyer l’cul !

Monsieur Dassy qui avait assisté à la scène eut bien du mal dans son entreprise de médiation. Le gendarme récemment installé au bourg ne connaissait rien de l'humour paysan. Quelques années après le jeune flic en riait encore.

Qui aurait osé imaginer que quelques décennies plus tard, l'absence de pièce d'identité deviendrait un laissez-passer incontournable ?

Il y a des gens sur cette terre qui ont marqué leur passage par une aura exceptionnelle, une présence hors normes ou par une activité peu commune. D'autres laissent des traces par un comportement inhabituel, pas toujours conforme aux bonnes règles établies. On les a remarqués en raison de leur façon de vivre en marge des bonnes mœurs. Leur vie ne fut pas exemplaire et cependant leur image nous trotte encore quelques fois dans la tète. C’est parfaitement injuste à l'égard des citoyens respectueux des habitudes et qui par leur discipline assurent la bonne marche de la société.

Au village, il y avait un bonhomme doté de bras si longs qu'il rappelait le gorille. Il les balançait le long de son corps, en arpentant les rues, les jours d'ivresse. Ses grosses mains ouvertes en dessous du genou rythmaient sa marche chaloupée.

Il buvait plus que de raison, pour noyer sa solitude bien sûr et par vice aussi. On n’imaginait plus qu'il avait possédé jadis ferme et voiture, tant sa déchéance semblait profonde.

Quand ses inconsciences passagères le conduisaient à des abus, il avait quelques problèmes avec la maréchaussée. Lors d’un pari stupide avec un compagnon de débauche, guère plus lucide que lui, il percuta avec sa mobylette, un gendarme en faction au pied de la halle, avec pour seul objectif de se prouver qu'il était capable de narguer les représentants de la loi. Il brandissait comme un exploit les jours d’emprisonnement sanctionnant cette stupidité et vantait le confort des cellules beaucoup plus confortables que la caserne selon lui. Il paraissait satisfait de cette tache sur son casier judiciaire considérée comme un enrichissement. Ivre, il était partout indésirable, en raison d'un comportement irrationnel proche de la démence. Mais il était inoffensif, connu de tous et remarqué en raison de ses réactions marginales amusant toute la population. Parce qu'il avait un tempérament plutôt optimiste, on l'avait surnommé "ça va s'arranger" et en dépit de ses excès il est décédé presque centenaire.

Un autre citoyen du village, sapeur pompier au corps de la ville, avait également la fâcheuse habitude de boire, et pas de l'eau, même sans être déshydraté, Un jour de grande débauche, rôdant en équilibre instable sur les bords de l'Ouanne, il chut à la rivière. Un pécheur, à la vue de l'homme pataugeant en eau profonde, se précipita sur la sonnette de la halle destinée à déclencher la sirène. Notre nageur involontaire fut parmi les premiers à répondre à l'appel:

- Où est-ce qu'il y a le feu ?

- C’est un gars qui se noie.

Et notre pompier dégoulinant d'eau:

- Où ça,?

Ces hommes ont leurs pareils dans tous les villages de France, ils apportent peu à la communauté mais leur comportement inhabituel marque les esprits.

En croisant ces gens, chacun peut penser à ses aïeux et à leur attitude exemplaire, respectueuse des grands et nobles principes de la vie communautaire. Une vie si simple qu'elle est à l'image de milliers et de millions d'autres dont on ne parle pas, celle du peuple, du bon peuple noyé dans l'anonymat des gens honnêtes qui après avoir aimé, travaillé durement toute leur vie, sombrent trop vite dans l'oubli.

Thomas se rendait régulièrement au cimetière où reposent ses parents pour l'éternité. il avait l'habitude de leur parler en s'inclinant sur le tombeau:

- Vous m'avez tout donné et je ne vous ai rien rendu, maintenant me voilà un homme et je vous le dis avec un cœur d'enfant: Je vous aime.

La photo accrochée chez lui, représentait sa mère très jeune. Elle n’avait pas encore la petite ride au front. Elle était belle et il regrettait maintenant de ne jamais le lui avoir dit, elle aurait été si contente.

Après la mort de sa mère ce garçon avait été long à renaître à la vie. Et s'il était sorti du chaos, il le devait à trois amis mais aussi à tous les villageois qui l'avaient aidé par de petites attentions, toujours discrètes. Puis lorsque le flux avait repris son cours normal, après de longues et longues années, il avait aimé un peu plus ses contemporains.

Inconsciemment il avait un temps reproché aux autres un bonheur qui lui était interdit. Et puis il s'était accroché à cette solidarité.

 

Ciel de Puisaye Pierre JEAUNEAU
Édité par l'auteur en 2001


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