ICAONNA Le patrimoine touristique et culturel de l'Yonne
TOURISME
CULTUREL

DANS L'YONNE
www.yonne-89.net
            Blog

 

Le travail des enfants

"L'oisiveté est la mère de tous les vices"
L'un des proverbes préférés de notre instituteur Jean Galois qui enseignait à l'école primaire de Malicorne dans la fin des années 30.
Cette inscription en majuscules au tableau noir était servi pour une semaine et remplacée par une autre du même cru.
« Ne jamais remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même », et ça ne s'arrêtait pas là :
« Les mauvais ouvriers ne trouvent jamais d'outils assez biens fait pour eux ».
« Travail bien fait nourri son maître ».
« Le travail c'est la santé ».
« Il est bien des "sots" pas un sot métier ».
« Le travail bien fait ne coûte pas plus cher »...

L'école obligatoire, gratuite et laïque voulue par Jules Ferry avait des principes à inculquer aux enfants après :
Savoir lire, écrire et compter.
Honnêteté, politesse, travail.

Les textes choisis comportaient au moins un passage traitant la question :
"Le père mort, les fils retournent le champ,
de ci delà, partout, 
ne laissant nulle place où la main ne passe et repasse
si bien qu'au bout de l'an il en rapporta davantage
d'argent point de caché, mais le père fut sage
de leur apprendre avant sa mort
que le travail est un trésor."

Et puis aussi du même ton : Le laboureur et ses enfants

Et le bon travailleur au chant du coq se lève
aussi gai que le gai soleil
dans son lit le paresseux rêve
sommeil de jour, mauvais sommeil.

Telle était la doctrine générale qui prévalait sur toutes autres considérations. Le repos hebdomadaire était préconisé comme une nécessité afin de reprendre vigueur et ardeur pour attaquer la semaine suivante, c'était un peu ça, le besoin de repos était reconnu, mais pas le plaisir de rien faire.

Après la séparation de l'église et de l'état, la République avait fait de l'école universelle son point d'appui stratégique.
Par sa prédominance sur l'enseignement religieux, l'école laïque avait pris du galon ; était devenue en quelque sorte le fer de lance de l'avenir.
Une immense responsabilité qu'elle assumait avec le plus grand sérieux.
Le corps enseignant, dans son ensemble toutes tendances confondues était dévoué à son employeur : l'état, et l'état avait besoin de bras.
Le monde entier avait besoin de bras, et tout particulièrement l'Europe saignée à blanc par la guerre 14-18, dont la France avait le plus souffert avec une grande partie de son territoire dévasté, il fallait donc reconstruire, restaurer, réparer et en même temps suivre l'évolution, moderniser, inventer, innover, tout en même temps.
Pour tout ça il fallait des bras, des bras solides, courageux, motivés et l'école laïque, partenaire à part entière de l'entreprise nationale enseignait à la fois le savoir et le travail, liés de façons indéfectibles.
Et ça y faisait, tous les gamins à de rares exceptions n'avaient qu'une idée en tête quitter l'école dès que possible avec certif ou pas et attaquer le boulot, déjà pratiqué le jeudi et dimanche (semaine coupée par l'école).
Jusqu'à la fin des années 30 et début des années 40 des dispenses étaient accordées à plusieurs gamins ou gamines dès l'âge de huit ans pour quitter l'école du premier mai jusqu'au 11 novembre (environ), ils étaient employés en ferme pour garder les vaches et s'occuper des volailles. C'était des enfants de familles « nécessiteuses », femme veuve ou autre et les enfants de l'assistance publique, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, ils faisaient des envieux votre raconteur le premier !
(Il y a cinquante ans de cela et non des siècles, c'est difficile à croire et pourtant les choses étaient ainsi.)
Il n'y avait pas d'allocations familiales et les familles nombreuses n'étaient pas rares, cinq-six enfants c'était la moyenne, s'il arrivait un accident au chef de famille ou mort naturelle ou encore suite de l'alcoolisme ou tuberculose et que la mère se retrouve seule pour élever ses enfants, ils partaient travailler à sept-huit ans, pour leur nourriture et quelques habits, une paire de sabots et allaient à l'école quatre ou cinq mois l'hiver. Y avait-il « dispense officielle » sûrement que non, il s'agissait plutôt d'une tolérance consentie par la force des choses.
Si ce n'était pas une bonne solution, ce devait être la moins mauvaise pour les enfants entre aller « travailler » pour pouvoir manger ou aller à l'école sans manger ou pas assez, le choix était vite fait et c'était l'habitude comme ça, l'instituteur fermait les yeux sur les absences prolongées et c'est tout.
Même après que des allocations furent allouées aux familles, ça n'a pas été facile de faire cesser cette pratique, il y a des habitudes qui ont la vie dure et il y eut des conflits à ce sujet jusque dans les années 50, entre des parents qui avaient très peu fréquenté l'école qu'ils considéraient comme du temps perdu ; savoir lire et compter comme eux-mêmes c'était bien assez, disaient-ils, allant jusqu'à démontrer, preuve à l'appui qu'ils gagnaient bien leur vie.
Et puis aussi arguaient de leurs droits sur leurs enfants qui devaient primer sur les droits de l'état, c'était aussi simple que ça.
Toute la prime jeunesse était ainsi préparée à ce qui l'attendait : travail et patrie et la mise en application de ces principes valeureux allait se faire bien plus vite et plus dure que prévue.
Que tous les médias de tous bords, et hommes politiques du même cru qui s'apitoient avec larme à l’œil sur le sort des gamins des pays asiatiques contraints de travailler dans des conditions épouvantables soient encouragés par le suivi de tous dans leur démarche à dénoncer la plus misérable des inégalités de l'humanité, et si en causer c'est déjà bien, c'est loin d'être suffisant.
Faut-il pour autant oublier la part prise par les enfants de notre pays dans les travaux pénibles pendant la dernière guerre, nous allons en parler en connaissance de cause.
Dès le premier hiver de guerre 39-40, les enfants en campagne furent mis à contribution pour suppléer la main d’œuvre mobilisée, les neuf-dix ans se levaient le matin à quatre heures le plus tôt ou cinq heures le plus tard pour aider dans les étables, préparer les betteraves, nettoyer les litières... Plein de choses pénibles, sales, incontournables et... indiscutables. Dans une ferme sans employés, tenue par le couple de fermier, le patron mobilisé, la femme seule ne pouvait arriver à tout faire, le bétail : chevaux, vaches, cochons, volailles, les champs et bien souvent des petits gamins à élever et les plus grands aidaient la mère dans tout ce qu'ils pouvaient faire, encouragés en cela par le pouvoir public comme en 1914. (Voir AN 14.)
Quand le président du conseil des ministres exhortait par voies d'affiches et journaux les femmes et les enfants de remplacer dans les champs les hommes partis au front ; et l'appel lancé était repris en cœur par les préfets, la presse, les élus, les mairies.
Nécessité faisant loi il fallut que tout le monde travaille, des plus jeunes au plus vieux, « les valides » pour nourrir l'armée au combat.
Et en 1939 la même cause produisit les mêmes effets.
En 25 ans les façons de cultiver la terre n'avaient pratiquement pas changé, tout était manuel et tout dépendait de la traction animale, chevaux, bœufs.
Le labour des terres, les semis de céréales, les travaux de récoltes étaient effectués par des charretiers connaisseurs, hommes jeunes et vigoureux tous embarqués par la première vague de mobilisation.
Ces hommes-là tenaient leur place jalousement en domaine réservé, à les croire personne d'autres qu'eux ne pouvaient assurer le suivi constant des travaux de la ferme, et les plus jeunes attendaient leur tour pour monter en grade en peaufinant leurs connaissances, leurs aptitudes à conduire les attelages et utiliser le matériel mécanique, limité à la moissonneuse-lieuse et faucheuse.
Dès le départ des premiers charretiers (le premier septembre), il fallut pourvoir à leur remplacement immédiat pour préparer les semis de blés de l'automne 1939, les 16-19 ans sautèrent sur l'occasion avec empressement et quelques hommes encore jeunes pas partis (40-50 ans) qui reprirent du service, l'agriculture continua de tourner, en abaissant graduellement l'âge des travailleurs jusqu'aux enfants de 10-12 ans lesquels pour la plupart travaillaient déjà mais à des travaux obscurs de gardiennage d'animaux, volailles et servitudes diverses avec promotion lente, incertaine, la récompense promotionnelle tardait à venir.

Pour un gamin c'était les années les plus longues, longues à plus en finir, toutes tâches les plus rebutantes c'était pour les gamins.
En ce temps-là les lapins étaient logés partout où on pouvait les fourrer, dans le coin basse-cour « les toits aux Volailles », le rez-de-chaussée était réservé à la gent emplumée (poulets, canards, oies, dindes), « le premier » était pour les lapins et était toujours rapetissé, adapté à la
taille des lapins, toutes les corniches mansardées servaient de refuge aux lapins, au-dessus du cul de four il y avait aussi de la place, surtout en longueur, mais point de hauteur du tout, un petit mètre c'est vraiment pas haut et pourtant les lapins se plaisaient là dedans, les lapins se plaisaient partout, pourvu qu'ils aient à grignoter et comme ces saloperies-là disposent comme tout le monde d'une entrée et une sortie et pour sortir ça sortait, marche.
Les lapinos n'arrêtaient jamais de manger, ronger, grignoter, tout ce qui se trouvait à portée, quand les épluchures de choux ou salade, les quatre pissenlits et la poignée d'avoine étaient avalés, ils s'en prenaient à la paille, la coupassaient en rondelles, si la mangeoire était en bois ils bouffaient l'assiette, les caissettes à harengs saur faisaient pas long feu, les planchettes imprégnées de sel leur servaient de sucettes et l'expulsion allait bon train aussi, des crottes et des crottes à plus en finir, toutes rondes, toutes belles. En rien de temps le tapis des premiers jours prenait de la hauteur, autant qu'un matelas au moins, l'espace aérien diminuait, fallait intervenir avec raclette et balai à manches raccourcis, et qui donc s'il vous plaît ?
Les gamins, facile à deviner hein ?
Pensez donc, c'était un travail de gamin, y’avait qu'eux qui pouvaient entrer là dedans, et encore souvent plié en deux.
J'y pense là tout d'un coup, si Louis XI avait élevé des lapins comme ça, c'est ses « copains » qui auraient écopés la corvée du nettoyage c'est sûr qu'il aurait pas loupé ça, c’eut été joindre l'utile à l'agréable, cet homme là, un rien l'amusait. D'après les mauvaises langues de son entourage, monsieur Louis XI prenait du plaisir à observer les contorsions de ses « invités » de force, malfaiteurs attrapés par ses gardes, et aussi ses ennemis personnels auxquels il attribuait comme logement principal individuel une sorte de cage cubique (du sur mesure), dans laquelle ils ne pouvaient se tenir ni debout ni couchés, même avec rien à faire c'était pas une vie et ce Louis XI en valait pas deux, il a bien eu la veine que ça se passe comme ça, si c'était à présent il verrait, comme ça fait, l'autre jour j'ai lu au journal, en correctionnelle, y'a un type qu'a été condamné à deux mois de prison avec sursis pour avoir battu son chien qui avait pris un avocat.

Revenons à nos gamins.
Encore un mot sur le curage des clapiers en soupente, c'est quand même vrai qu'imposer un travail pareil à des gamins était pour eux comme une punition imméritée ; parce que en plus du fait que le local exigu était quasiment inhabitable, à pas savoir comment se mettre. Le pire était que toutes les saloperies trouvaient pratiques de venir se loger là-dedans et à commencer par celles qu'on aime le moins.
En été par exemple, y'avait les mouches, des grosses, pas des bleues, des jaunes, des punaises de mouches jaunes, y'en avait plein et on les dérangeait de sucer l'urine des lapines, elles avaient vite fait de prendre de la hardiesse et quand les premières gouttes de sueur perlaient au bout du nez, elles se collaient dessus, fallait tirer le manche de la raclette d'une main et chasser les mouches de l'autre.
Et puis attendez, et les puces donc, c'était rempli de puces, rien que d'y penser on se grattait en montant l'échelle et c'est pas fini, sa majesté l'araignée occupait les lieux en toute propriété, comme la toiture les avaient empêché de monter plus haut, elles s'étaient résignées et avaient installé le paradis des araignées sous les tuiles et restaient pas à rien faire pour ça, même au paradis faut bosser pour vivre ; elles fabriquaient des toiles de première qualité, plus épaisses que les torchons à vaisselle usés de la grand-mère, la première des choses à faire en entrant là-dedans, passer un coup de balai au plafond, ça dérangeait les dentellières qui abandonnaient le métier et tombaient n'importe où jusque dans le col de chemise, c'était affreux, trois ou quatre plus grosses les mères sans doute, grosses comme un pouce d'homme avec plein de pattes autour se mettaient dans un renfoncement entre deux pièces de bois où le balai ne pouvait pas aller et regardaient l'intrus, devaient être fâchées, on avait l'impression qu'à tout moment elles allaient nous sauter dessus pour venger ses petits, c'était « stressant »...
Il aurait bien fallu un psychiatre pour nous accueillir quand on descendait là dedans, au lieu de ça après avoir secoué nos frusques, il nous était proposé toutes sortes de bricoles pour nous changer les idées comme de conduire les dindons aux champs ou tourner le mince orties, casser de la « bourrée» (petit bois, branchettes) pour allumer le feu (1), aller au puits chercher un seau d'eau, il fallait se mettre à deux pour tourner la manivelle (l'eau était « creuse » 25 ou 30 mètres de câble à enrouler avec le seau accroché au bout, c'était pas rien) et encore à deux pour le rapporter en prenant l'anse du seau un de chaque, et il fallait marcher au pas, sinon le seau balançait de travers et les giclures inondaient nos sabots, l'eau propre venait du puits et il en fallait tout le temps, pour la soupe, la vaisselle et un peu pour boire, heureusement que les hommes en buvaient point.
C'était plus facile de tourner la cannelle que la manivelle du puits...


(1) Jusqu'au début du siècle les fermiers faisaient leur pain, une fois par semaine. On conduisait donc chez le meunier ce qu'il fallait de quintaux de blé pour l'année et il restituait la compensation en farine par sac à date convenue suivant le besoin, c'était préférable de faire comme ça puisque le blé était de conservation plus facile que la farine.
Le four était chauffé avec des « bourrées » fagots de menues branches coupées dans les bouchures et tout était ramassé précieusement jusqu'aux épines noires et l'aubépine sauvage, lesquelles étaient réputées pour fournir le plus de chaleur.
C'était une énergie gratuite qui ne coûtait que la main-d’œuvre, que l'on ne comptait pas et qu'il fallait manier avec beaucoup de précaution.
Une autre pratique était en vigueur à la même époque, utilisée par les particuliers qui ne faisaient pas le pain. Le blé était porté chez le meunier pour le compte du boulanger, lequel en échange livrait du pain à poids égal au blé reçu, l'eau incorporée au levain permettait de fabriquer plus de kilos de pain qu'il n'avait reçu de blé et la différence avec les (issues) l'écorce du blé était le salaire du boulanger.




Christian CONNET
LA GRANDE PEUR
Paru en 2001 



Histoires sur l'Yonne

 

Retour Livre 3

D'autres histoires :

Accès Livre 1

Accès Livre 2

Accès Livre 4

Accès Livre 5