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La Vie en Forterre au XIXème siècle


Paysage de Forterre, en septembre (Photo Claude RICHARD)
La ferme située à Rimatou, sur la commune de Fontenoy, est très ancienne; les titres remontent en effet à la fin du XVIIème siècle. Nous connaissons son étendue par un document de 1817, rédigé à l'occasion d'une succession. A cette date, la propriété, d'une superficie de 29 arpents et 59 carreaux, soit 14 ha 50 ca, est composée de 38 parcelles, la plus grande mesurant 1 ha 16a, la plus petite : 6 carreaux, soit 300 m2.

En étudiant la répartition des tâches entre hommes et femmes au sein d'une exploitation agricole, on est amené à constater l'existence de deux secteurs économiques:

Le premier, placé sous la responsabilité du mari, comporte tous les travaux agricoles et la vente du bétail.
Le second, dirigé par la femme, comprend la traite des vaches et la fabrication du beurre et du fromage, l'élevage des veaux, des porcs et des animaux de la basse-cour, les travaux ménagers, l'entretien du linge, les soins aux enfants. De plus, très souvent, la femme est responsable de la gestion financière.

Une ferme n'est viable que si les deux secteurs sont gérés convenablement. Si l'épouse disparaît, il est nécessaire de la remplacer immédiatement si l'on veut assurer la survie de l'entreprise. Mais une veuve peut, si elle a un bon charretier, continuer l'exploitation de la propriété familiale.

Le travail des hommes

C'est en juin que l'on rentre les foins, en août que l'on moissonne; en cette période, le beau temps est indispensable pour l'exécution des travaux, les journées de travail sont longues. C'est le moment de l'année où les besoins en main d'oeuvre sont les plus importants.

La fenaison :

On fauche à la faux mais la main d'oeuvre est relativement réduite, le nombre des journaliers limité. En matinée, les hommes fauchent, l'après-midi ils fanent avec l'aide des femmes.

Le fauchage s'effectue parfois à la tâche et l'on paie 8F pour un arpent, soit 16F de l'hectare.

En 1896, l'exploitant achète une faucheuse d'occasion à la propriétaire du château du Tremblay. Avec sa machine, il travaille à l'entreprise, mais il ne demande que 15F pour 1,50 ha soit lOF de l'hectare. L'emploi de la faucheuse supprime des emplois et abaisse le prix de revient.

La moisson :

La faux, dans le premier quart du siècle, a remplacé la faucille ce qui a permis de doubler le rendement des moissonneurs. Jusqu'en 1896, la moisson s'effectue toujours dans les mêmes conditions. Les femmes participent aux travaux mais elles ne sont que les auxiliaires des hommes. Les hommes fauchent et lient les gerbes, les femmes mettent en javelles et préparent les gerbes ; leur salaire est la moitié de celui des hommes.

Le battage :

Tous les battages se font au fléau dans la première moitié du siècle. Contrairement à ce que l'on croit, cette méthode n'impose pas le recours à une main d'oeuvre nombreuse. Le travail est long mais trois hommes suffisent pour constituer une équipe efficace.

Le moulin à battre, actionné par des chevaux, est utilisé vers le milieu du siècle. En 1862, un jeune va battre au moulin pendant 4 jours. Dans un bail à moitié fruit de 1867, signé aux Metz, la location du moulin à battre est à la charge du propriétaire.

C'est en 1883 qu'il est fait appel pour la première fois à un entrepreneur pour battre la récolte. Le 20 septembre, Millot Pierre travaille toute la journée avec son moulin à battre actionné par deux juments. L'exploitant a dû faire appel à 3 journaliers et 2 amis sont venus l'aider. Après le départ du moulin, un ouvrier mettra une journée et demie pour vanner le blé. Seul le blé a été battu, le moulin à battre est d'un prix de revient trop élevé. Aux salaires, s'ajoute en effet, le prix d'un repas qui rappelle celui des jours de fête.

Le travail à la tâche :

Quand les parcelles sont trop éloignées de la ferme, un ouvrier est chargé du travail pour une somme forfaitaire. En 1894, on paie pour faire faucher à la faux. 0, l0F pour un carreau de blé, soit 20F l'ha

0, 05 F pour un carreau d'avoine, soit l0F l'ha

Un ouvrier perçoit l,75 F pour avoir livré 7 mesures de blé, c'est à dire 1,40 hl. Dans certains contrats, la treizième mesure appartient à l'ouvrier.


Le travail des femmes

Deux laveuses, payées chacune lf par jour, sont employées à chaque lessive pendant 2 jours mais on ne fait la lessive que deux fois par an. Par la suite, on fait la lessive chaque trimestre et une seule laveuse n'est employée qu'une journée.

Pour « retenir le linge » c'est à dire le raccommoder, on fait appel à la couturière -raccommodeuse qui est payée par journée de travail, 0,05F en hiver, 0,75 F en été.

Certains travaux sont mieux rétribués : la jeune fille qui fait le ménage et garde la petite fille perçoit 1 F par jour.


Le travail des enfants

Pendant l'été, certains enfants cessent de fréquenter l'école et sont employés à certains travaux. Les garçons gardent les vaches ; les fillettes sont employées de même à de menus travaux. Les salaires sont très modestes. En 1884, il est fait cadeau à la gardeuse de moutons, de 3,50 m de drap à 2F le mètre pour faire une robe, ce qui représente un salaire de 7 F.

En 1887, une autre fillette reçoit 7,10F pour son salaire de l'été mais, en 1890, le salaire est porté à l0F pour la même période.


Entrepreneurs et travailleurs indépendants

En 1885, on paie 2F pour la fabrication d'une feuillette de cidre et l,50F pour une « pilée» ou « brégée » de colza.

Les alambics sont ambulants et il en coûte 1,50F pour une fournée.

Il existe une scierie installée dans un ancien moulin, à Barnaud sur la commune de Toucy, qui débite en planches, les troncs qu'on lui amène ; On paie pour une toise ( environ 2m) 0,05F pour les bois tendres et 0,15 F pour les bois durs.

On utilise encore les services du tisserand et l'on paie en 1890, 44F pour la fabrication de 88m de toile. Certaines couturières possèdent une machine à coudre.


L'habillement

Hommes et Femmes portent des vêtements solides et chauds que l'on ne renouvelle qu'après usure étant donné leur prix relativement élevé. On achète les tissus nécessaires et l'on confie la confection des chemises et des vêtements de travail à des couturières, les tailleurs n'intervenant que pour les vêtements de cérémonie.


Les vêtements de travail

Pour les hommes:

Les sous-vêtements sont inconnus et les hommes portent en général : une chemise, un pantalon, un bourgeron ou paletot, une vareuse.

Le pantalon, pour l'hiver, est en velours, celui pour l'été, en coutil, c'est à dire en coton et fil. On répare les trous formés par le frottement des manches d'outils, au niveau des genoux par la pose de grandes pièces et il faut 0,60m de tissu pour « refaire les genoux » d'un pantalon.

Le bourgeron ou « paletot » de couleur noire en coutil se ferme par six boutons.

La vareuse d'été est en drap, celle d'hiver, en velours.

La limousine, manteau très ample, en étoffe grossière que l'on portait les jours de pluie a disparu, on lui préfère le « capuchon », manteau sans manches dont la capuche protège la tête.

Pour les femmes :

Les sous-vêtements se composent d'une chemise, d'un corset, d'un pantalon Sous la robe, les femmes, en général, portent une camisole en hiver.

La blouse qui constitue le vêtement le plus courant est toujours protégée par un tablier.

A l'extérieur, contre la fraîcheur, les femmes jettent un fichu de laine sur leurs épaules.


Les coiffures

En toutes saisons, les hommes portent la casquette « la cassiette » en langage courant. Les jours de fête et pour les cérémonies, le port du chapeau melon est obligatoire.

Pour se protéger du soleil et de la poussière, les femmes placent sur leurs cheveux, un grand mouchoir qu'elles nouent sous leur menton et que l'on appelle la «bicanette »

Les jours de fête et pour les cérémonies, le port du chapeau est obligatoire, pour les hommes comme pour les femmes.


Les chaussures

Les sabots sont utilisés en toutes saisons. Vers 1880, les sabots à brides font leur apparition et ils vont rapidement remplacer les sabots entièrement en bois. Ils sont plus confortables mais plus chers. Il faut compter à la fin du siècle, 0,90F pour une paire de sabots et 0,85 F pour une paire de brides.

Les sabots des femmes sont beaucoup plus légers que ceux des hommes, la bride est nettement séparée du bois.

Les souliers sont portés les jours de fête et de cérémonie.


L'habillement des enfants

Jusqu'à l'âge de quatre ans, garçons et filles portent des vêtements peu différenciés, les garçons restent en robe.

Dès l'école, le port de la «serviette» c'est à dire de la blouse est obligatoire. Pour les filles, on trouve une certaine variété dans les couleurs mais pour les garçons, le noir est de rigueur.

En hiver, tous les enfants portent des sabots, seuls, quelques favorisés sont chaussés de galoches à semelle de bois mais au-dessus entièrement en cuir.

En été, une minorité appartenant aux familles les plus aisées, porte de solides souliers de cuir à tige montante, aux semelles cloutées mais la majorité est toujours chaussée de sabots.


Les distractions

A la veillée, on lit la presse locale. On est abonné au « journal de Gallot » mais pour les mois d'hiver seulement. Le montant de l'abonnement est de 5F. Par la suite, l'abonnement sera annuel et coûtera 20F. Chaque année, on achète un almanach à 0,25F.

En 1886, on fait l'acquisition pour 1,45F d'un jeu de dominos. On joue aussi aux cartes, à la bourre, et à la poule qui sont des jeux d'argent.

… / …


Les jeunes et leur insertion dans la vie active

Au XIX ème siècle, dans chaque famille de cultivateurs, l'avenir des jeunes se posait dès la sortie de l'école. L'aîné, en principe, prendrait la succession du père mais il n'existait que de très rares débouchés pour les frères plus jeunes.

Dans les familles nombreuses, les enfants à partir de leur dixième année ne fréquentaient l'école qu'en hiver. En été, ils quittaient la maison familiale pour travailler dans les fermes voisines et ils abandonnaient le système scolaire définitivement dès qu'ils trouvaient un employeur. Les garçons, dès l'âge de huit ans étaient vachers, c'est à dire qu'ils gardaient le bétail en été, tout en assurant de menus travaux à la ferme et assuraient la distribution du fourrage en hiver. Ils aidaient au nettoyage de l'étable pour la propreté des animaux.


Les jeunes, avant le service militaire

Vers 15-16 ans, le vacher changeait d'emploi. Il existait, en effet, à l'époque dans les fermes des situations bien définies et on trouvait à côté du vacher, le berger, «l'homme de bras » et le charretier qui, tous présentaient la particularité, d'être célibataire.

Le berger que l'on ne trouvait que dans de rares fermes, avait évidemment une fonction bien définie. Il conduisait son troupeau qui ne devait jamais consommer d'herbe mouillée, dans les champs après la moisson et dans les friches qui avaient pris de l'extension après la première guerre mondiale. Il participait à tous les travaux agricoles mais n'avait pas la responsabilité de la conduite d'un attelage.

Le charretier, au sommet de la hiérarchie, ne s'occupait que des chevaux. Il labourait, hersait, fauchait mais n'avait pas la responsabilité des semailles, travail qui demeurait le privilège du patron. On semait généralement à la volée, les semoirs mécaniques étant peu répondus.

Vacher, berger et homme de bras logeaient dans les bâtiments d'exploitation dans un local qui n'avait rien d'une chambre et ressemblait beaucoup à une étable désaffectée.

Le charretier logeait dans l'écurie près de ses chevaux dont il avait la surveillance même pendant la nuit. Il dormait sur un châlit dans un coin et rangeait ses affaires personnelles dans une malle posée à proximité.

Il n'existait évidemment ni point d'eau ni installation sanitaire. On se lavait à la rivière ou à la mare en été : dans une minuscule cuvette en hiver et l'on satisfaisait ses besoins personnels dans la litière des étables.

Seuls, de jeunes célibataires pouvaient accepter ces conditions rudimentaires.


Après le service militaire

Le service militaire marquait une rupture dans la vie des ouvriers agricoles. A son retour, l'ancien « commis » pouvait pour quelque temps encore rechercher un employeur dans l'attente de son mariage qui marquerait le début d'une vie nouvelle.

Après le mariage, on n'était plus accepté dans les fermes que comme journalier, c'est à dire comme travailleur payé à la journée. En juin, août, on participait aux travaux des champs, les jours de beau temps mais on était sans salaire, les jours de pluie. En septembre, on faisait appel à cette main d'oeuvre saisonnière mais à partir d'octobre et pendant tout l'hiver, il ne restait comme possibilité d'emploi que le travail en forêt.

La construction et la mise en service des voies de chemin de fer offriront sur place des possibilités d'emploi et permettra aussi de rejoindre plus facilement la ville où on trouve dans les usines, des possibilités d'embauche.

Mais jusqu'à cette époque et aussi loin que l'on remonte dans l'histoire des familles, on retrouve le même processus à chaque génération: L'aîné succède au père, les plus jeunes sont ouvriers agricoles dans un premier temps, journaliers et bûcherons par la suite. On peut emprunter à son employeur les sommes indispensables à la location d'une petite ferme mais le remboursement des emprunts sera bien difficile et bien souvent toute une vie de labeur sera nécessaire. Il est presque impossible de se constituer un patrimoine agricole au cours d'une seule génération.

A 12 ans, les fillettes quittent l'école et sont employées dans les fermes à de menus travaux pour un très faible salaire, la nourriture constituant l'essentiel de la rémunération. Lorsqu'elles sont adolescentes, on leur confie progressivement les travaux qu'on ne veut pas faire exécuter par la fille de la maison : traire les vaches, soigner les porcs et les volailles, effectuer les travaux ménagers les plus ingrats. Mais ces servantes bénéficient de la sympathie de leurs employeurs. Lors de leur mariage, elles reçoivent en cadeau, draps et couvertures et la fille de l'employeur sera obligatoirement la marraine du premier bébé.

Il convient d'ailleurs de remarquer que les enfants d'un exploitant qu travaille dans une ferme voisine, ne sont pas socialement considérés comme des commis ou des servantes. Lors de leur mariage, lorsqu'il s'agit, à l'état civil, d'indiquer la profession, le jeune homme se déclare cultivateur et la jeune fille, sans profession.


La forêt : son exploitation

La forêt à exploiter était partagée en parcelles appelées « coupes » d'une superficie suffisante pour occuper un bûcheron d'octobre à mai. Des branches coupées, des arbustes abattus marquaient les limites des différentes parcelles.

Dans un premier temps, il appartenait au bûcheron de débroussailler c'est à dire de couper et brûler les épines, le mort-bois qui sont les arbustes inutilisables afin que ne restent debout que les arbres susceptibles fournir le bois de chauffage : charbonnette et moulée, et les grumes destinées aux scieries.

A l'automne, le « facteur de bois » qui pouvait être le salarié d'un exploitant forestier ou un fonctionnaire des Eaux et forêts prêtant son concours, avait marqué les arbres ne pouvant pas être abattus : baliveaux, modernes, anciens.....A chaque coupe, c'est à dire tous les vingt ans, d'âge, on ne supprimait qu'un nombre limité de « réserves » afin de conserver à la forêt sa valeur marchande.

Le débroussaillage terminé, on abattait à la hache le taillis, c'est à dire les touffes de vingt ans d'âge pour la préparation du bois de chauffage. Les perches ébranchées à l'aide de la serpe étaient soigneusement rangées. Les branches, mises de côté, servaient par la suite à la fabrication de fagots ou de bourrées pour le chauffage des fours.

L'abattage des chênes, modernes ou anciens, au passe-partout, cette grande scie manoeuvrée par deux hommes, ne pouvait se faire qu'en collaboration avec le bûcheron d'une coupe voisine. Cette collaboration demeurait nécessaire pour débiter, les grumes aux dimensions fixées par l'exploitant forestier.

Le bois de chauffage scié à la main était rangé en cordes tant pour 1a charbonnette que pour la moulée. Le pied de chaque arbre, le « canuchon » coupé à 37 centimètres, était la propriété du bûcheron qui l'utilisait pour son chauffage personnel mais ne pouvait le vendre.

Les bûches de charbonnette d'une longueur de 0, 65m étaient rangées en cordes de 5,33m de long et de 0,85m de haut. Chaque corde de charbonnette avait un volume de 2,80 stères. La corde de moulée mesurait elle aussi 5,33m de long et 0,85 m de hauteur mais les bûches ayant une longueur de 1,14 m, son volume correspondait à 5,16 stères.

Les branchages étaient réunis soit en fagots soit en bourrées. Le fagot, plus long , plus volumineux exigeait deux liens alors que pour la bourrée, il suffisait d'un seul. On utilisait comme liens, des tiges de charme chez qui la vigueur de la végétation, avait réduit le nombre des rameaux. Ces liens appelés « rouettes » ou « érouettes » étaient préparés et stockés avant ou pendant le débroussaillage de la coupe, toutes les jeunes pousses ne convenant pas à cet usage. Pour respecter les normes de fabrication, le bûcheron utilisait un moule constitué de deux piquets enfoncés dans le sol dont l'écartement et la hauteur respectaient les normes imposées par les conditions du marché.


L'écorçage

En mai, après la montée de la sève, on procédait à l'écorçage. L'abattage de certains arbres dont le tronc ne présentait qu'un minimum de défauts, avait été retardé et n'était effectué qu'en mai. Pour ce travail, le bûcheron devait faire équipe avec un collègue.

L'arbre abattu, le tronc élagué, on découpait l'écorce, tous les l, 14 m en faisant le tour du tronc et l'on procédait à son décollage avec le couteau à écorcer. Les morceaux ainsi obtenus, enroulés sur eux-mêmes, étaient mis en fagots et placés pour le séchage. En juillet -août, ils étaient conduits au moulin à tan.

L'écorçage terminé, le bûcheron redevenait journalier agricole c'est à dire qu'il travaillait dans les fermes mais seulement les jours de beau temps. Cette situation précaire était cependant plus intéressante que celle de bûcheron. L'ouvrier était nourri et il percevait un salaire supérieur pendant son travail en forêt.


Les salaires

Le bûcheron était payé « à la corde » c'est à dire qu'il devait effectuer de nombreux travaux avant de pouvoir prétendre à une rémunération. Il fallait débroussailler, abattre les arbres, les débiter aux longueurs prévues, les empiler avant que l'exploitant forestier puisse procéder au règlement des salaires. Le versement d'acomptes indispensables, était laissé à la bonne volonté de l'employeur.

On parlait encore vers 1925, des salaires du début du siècle, des cinquante sous, c'est à dire des 2,50 francs, une sorte de salaire journalier minimum servant de base aux discussions lors de la répartition des coupes. Il correspondait peut-être au prix payé par « corde » de charbonnette mais exigeait sans aucun doute beaucoup de travail et d'habileté. La moulée était mieux payée, l'abattage des grumes plus rémunérateur avait un statut particulier et il en était de même pour l'écorçage en mai. Le bûcheron, bien qu'ouvrier qualifié, avait un niveau de vie inférieur à celui de manoeuvre travaillant en usine et le poseur de voie au P L M avec ses quatre-vingts ou quatre-vingt-dix francs mensuels et son logement de fonction faisait presque figure de privilégié.


La Vie quotidienne

Faute de moyens de transport, le bûcheron ne pouvait se rendre journellement au travail que dans les coupes rapprochées et bien souvent il était dans l'obligation de vivre dans « la hutte. »

Dès l'attribution de « la coupe » dans une forêt éloignée, il était procédé à la construction de la hutte. On coupait de petits arbres et on liait à leur sommet les perches ainsi obtenues qu'on réunissait par des branches entrelacées qui étaient par la suite recouvertes de gazon. Rien n'était prévu pour l'évacuation de la fumée et le foyer se trouvait à l'extérieur. On coupait des fougères pour aménager un lit sommaire, l'utilisation de ces plantes étant une précaution contre les reptiles.

Toute eau courante étant supposée potable, on trouvait toujours à proximité un petit ruisseau serpentant parmi des feuilles en putréfaction pour fournir l'eau indispensable. Le milieu étant naturel, on consommait cette eau sans appréhension.

En forêt, les installations sanitaires n'étaient pas une nécessité et on ne se lavait et se rasait que le dimanche lors de la visite à la « maison ».

Tôt, le lundi matin, le bûcheron repartait pour son lieu de travail emportant le lard, les harengs, les pommes de terre et quelques boules de pain. La nourriture était frugale mais la sobriété était une nécessité.

Quand la « coupe » se trouvait à proximité de l'habitation, le repas se transportait dans un sac en cuir, de conception spéciale, encore utilisé par les poseurs de voie entre les deux guerres. On trouvait dans ce sac, les places pour le litre de cidre, le porte dîner, ( la beurinette), et le pain.


Le charbonnier

Bien que mieux rétribué que le bûcheron, le charbonnier n'en était pas moins considéré comme occupant le bas de l'échelle sociale. Il est vrai que, toute l'année, il vivait dans sa cabane au milieu des bois. Bûcheron en hiver, il changeait de profession dès le printemps. Se rendant dans une coupe de l'année précédente où il allait, pendant tout l'été, souvent avec l'aide de sa femme, transformer en charbon de bois, la plus grande partie de la charbonnette de l'année précédente. Tout en surveillant la cuisson de la meule, il en préparait une autre. Le charbon obtenu, placé dans de grands sacs, était régulièrement évacué vers un entrepôt.

Les « places à charbon » judicieusement réparties sur la totalité des coupes pour limiter les transports, étaient régulièrement réutilisées. On connaissait leur emplacement, les petits talus les délimitant étant assez souvent appréciés des ramasseurs de champignons.


D'autres métiers de la forêt

On parlait encore, après la première guerre mondiale, de métiers déjà disparus. Les scieries avaient déjà remplacé les scieurs de long et l'on ne trouvait plus que quelques équipes fabriquant sur place les traverses pour les chemins de fer. Les scieurs de long intervenaient encore pour préparer deux faces de la traverse mais des ouvriers terminaient le travail à l'herminette. Les fendeurs ne préparaient plus les lattes pour les couvreurs, les scieries se chargeant du travail et les tonneliers se fournissant en matière première chez les marchands de bois.

On préparait des étais pour les mines mais c'était un travail de bûcheron.

En résumé, le travail en forêt qui était une nécessité économique pour les habitants de la Puisaye, au XIXème siècle occupait encore une importante partie de la population entre les deux guerres. Les bûcherons, mal payés, seront de moins en moins nombreux et il faudra à un certain moment, avant la crise de 1929, faire appel à des équipes d'espagnols ou de portugais pour l'exploitation des bois. Ces équipes, leur travail terminé repartaient pour le pays natal mais parfois un ouvrier refusait ce retour. Il travaillait dans une ferme en attendant de trouver un emploi dans une scierie ou une entreprise du bâtiment.

Les bûcherons, jusqu'à la seconde guerre mondiale sont vraiment demeurés les prolétaires de la Puisaye.


Les difficultés financières

1898 est l'année de la création du Crédit Agricole et on interroge les instituteurs sur les services que peut rendre cet organisme. Mais il est bien difficile à des enseignants qui sont chargés d'enseigner les vertus de l'économie de vanter les avantages des emprunts.

On juge le Crédit Agricole inutile à Saints, à Sainpuits, à Thury. Pourtant à Ste Colombe, on évoque les services qu'il pourrait rendre, il protégera le petit cultivateur qui est endetté et il devrait accorder des prêts à faible taux, remboursables par annuité. A l'époque, le remboursement d'un prêt s'effectuait à la date prévue pour l'échéance, l'emprunteur ne payant chaque année que les intérêts. Avec un pareil système, il fallait le plus souvent contracter un nouvel emprunt pour rembourser celui venu à échéance.

C'est ainsi qu'un propriétaire de Fontenoy, en 1884, rend 200F à X....... mais a du emprunter à Y....... En 1889, il rembourse 1000F mais après avoir vendu une paire de boeufs pour une somme équivalente.


Propriétaire, Cultivateur, Maire et Banquier

Pendant de nombreuses années, un cultivateur, maire de sa commune, a été le banquier non seulement de ses administrés mais aussi de nombreux habitants de la région.

Dans sa propre commune, comptant à l'époque 224 habitants, il a consenti des prêts à 36 de ses administrés, ainsi répartis :

21exploitants agricoles,

9 artisans,

3 commerçants,

1 employé communal

Le montant des emprunts, parfois inférieur à 100F, peut atteindre plusieurs milliers de francs dans certains cas. Sur 51 prêts consentis à des habitants de la région :

9 sont inférieurs à 100F

15 sont compris entre 100 et 500F

19 entre 200 et 500F

3 entre 500 et 1000F

5 sont supérieurs à 1000F

Souvent il est dit que le remboursement sera effectué « la première réquisition » mais on précise aussi, dans certains cas la durée du prêt. L'emprunteur paie à la date convenue, les intérêts annuels calculés au taux de 5%, le remboursement du capital s'effectuant dans sa totalité à la date prévue pour le remboursement du prêt.

13 agriculteurs sur 24, 4 artisans sur 9, 1 commerçant sur 3 ont tenu leur engagement.

Certains semblent dans l'impossibilité d'échapper à leur endettement. Un emprunt de 1200F contracté le 24 février 1858, n'est pas encore remboursé le 29 septembre 1891, 33ans plus tard. Il est vrai que la durée du prêt n'avait pas été précisée.

Curieusement, ce sont les plus petites sommes qui semblent les plus difficiles à rembourser. Les 100F empruntés par un vigneron en 1862, ne seront remboursés que 19 ans plus tard.

Le maréchal qui est aussi aubergiste, ne remboursera qu'après 11 ans, les 100F empruntés pour un mois en 1868. Sa collègue aubergiste et épicière, gère le bureau de tabac, elle connaît les mêmes difficultés et ne peut rembourser que 17 ans après, les 500F empruntés pour 2 ans en 1873.

Certains prêts, peu importants ne font l'objet que d'un accord verbal mais ils portent toujours intérêt à 5%. En général, les prêts font l'objet d'une reconnaissance de dettes sous seing privé s'ils sont d'un montant peu élevé, mais pour les sommes importantes, un acte est passé devant notaire, avec parfois prise d'hypothèques. Sur 14 inscriptions hypothécaires prises pour l0ans, 10 seront levées à la date prévue et 4 reconduites pour une nouvelle période.


L'école

Georges Duby écrit: « C'est évidemment la ville qui attire le plus. L'influence de l'école primaire n'y est pas étrangère qui donne une grande place dans son enseignement à la ville, à ses activités, à son genre de vie. Il est certain que curé et instituteur, contribuent chacun de leur côté, à priver l'agriculture de ses meilleurs éléments en envoyant les jeunes les plus intelligents soit au séminaire, soit à l'école normale. »

Ces affirmations discutables appellent des mises au point.

La IIIème République a toujours eu besoin des campagnes conservatrices pour contrebalancer, l'agitation des villes. On n'a pas oublié la Commune de Paris et les découpages des circonscriptions électorales comme certains modes de scrutin ont fait une large place au monde rural. Et on rappelle souvent aux instituteurs, une de leurs missions essentielles qui est d'empêcher l'exode rural comme s'il suffisait de leçons de morale et d'exposés sur l'agriculture pour trouver des solutions à des problèmes économiques. Tous les instituteurs appliquent les instructions officielles relatives à l'enseignement agricole et beaucoup participent avec leurs élèves aux concours organisés par la Société d'Agriculture de Joigny et le Comice agricole et viticole d'Auxerre. Les récompenses sont nombreuses et le premier prix récompensant un instituteur est fort convoité : il consiste en effet en une médaille d'or et une prime correspondant à un mois de salaire.

Il est peut-être possible au curé d'orienter vers le séminaire, les plus doués des enfants de choeur mais son choix est limité aux enfants d'origine modeste. Quant au rôle de l'école, il est bon de rappeler ce qu'était le niveau scolaire à l'époque qui nous intéresse. En 1900, on a compté pour la France entière 6443 bacheliers soit une trentaine environ pour notre département. A cette trentaine, on peut ajouter les 15 élèves-maîtres et les 15 élèves-maîtresses qui ont obtenu leur brevet supérieur, une certaine barrière culturelle et sociale demeurant entre les deux catégories. 30 bacheliers issus dans leur très grande majorité de la bourgeoisie des villes et 30 titulaires du Brevet supérieur, venus en général du monde rural, ne représentent qu'une infime minorité d'une classe d'âge.

Les ambitions de l'école primaire sont fort limitées, on veut seulement améliorer l'individu pour permettre une certaine évolution de la société mais sans remettre en cause les structures sociales. L'exploitation agricole, lieu de travail pour toute la famille, a besoin du concours d'un certain nombre d'artisans pour l'entretien des bâtiments et du matériel. C'est avant tout par rapport à cet ensemble que le jeune se situe. Et dans une société où la force physique et l'habileté manuelle valorisent l'individu, on ne conçoit pas qu'il puisse exister un travail intellectuel.

On ne parle pas de l'intelligence d'un élève. On dit de l'enfant qui apprend à lire sans difficulté qu'il aime l'école et de l'élève qui prépare son certificat d'études dans de bonnes conditions qu'il a des facilités. Un adulte est actif, dynamique et sait prendre les décisions qui s'imposent dans les circonstances difficiles.

Il est évident que les plus intelligents des fils d'ouvriers agricoles ou de petits exploitants ayant accédé à certains emplois, n'ont pas été sélectionnés par l'école, ils doivent leur réussite à leurs qualités personnelles.

 

Robert BREUILLER
La vie en Forterre au XIXème siécle (Document publié partiellement)
Tiré de la Brochure éditée par L'Association les amis de Moutiers en 2002


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D'autres témoignages sur l'Yonne :

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