Lire Restif de La
Bretonne.
Il y a deux cent cinquante ans,
le 23 octobre 1734, naissait
Nicolas Edme Rétif, plus connu
sous le nom qu’il s’est lui-même
donné, Restif de La Bretonne.
Le Bulletin que vous tenez entre
vos mains peut donc parfaitement
passer pour une commémoration,
l’hommage rendu à un écrivain
méconnu et qui mériterait de
voir levée la malédiction qui
pèse sur lui.
C’est qu’il est en effet
aujourd’hui encore des raisons
de lire Restif, et de bonnes,
malgré la mauvaise réputation
qui l’accompagne, quand il n’est
pas simplement ignoré, dans les
manuels scolaires et ailleurs.
Des écrivains, des hommes de
culture l’aiment, l’admirent,
l’envient même vous en
conviendrez à la lecture des
articles qui suivent.
Peut-être Restif de La Bretonne
n’est-il pour vous qu’un nom.
Sachez alors que vous trouverez
dans ses livres
• L’amour du pays natal
(l’Auxerrois), de la campagne,
de la nature : il a un côté
romantique.
• La peinture de milieux : la
vie rurale dans l’Ancien Régime,
le Paris troublé de la fin du
XVIIIè siècle. Il tient du
chroniqueur.
• Le roman romanesque :
aventures, enlèvements,
meurtres, hasards
extraordinaires, anticipation..
• Le roman de l’amour : le
collectionneur de femmes, le
fétichiste du pied féminin et de
la chaussure, l’homme du
fantasme incestueux, l’amoureux
vieillissant et éperdu, le
chercheur de bonheur et l’ennemi
de Sade.
• Le réformateur, utopiste et
visionnaire, l’encyclopédiste :
pour changer le théâtre, la
langue et l’orthographe, la
prostitution, la femme, l’homme,
l’éducation, les lois, la
société... la vie.
• L’ « Illuminé », cher à Gérard
de Nerval, obsédé par
l’écoulement du temps et luttant
contre lui par la construction
d’un étonnant cérémonial
affectif (ainsi les inscriptions
sur les parapets de l’Île
Saint-Louis), par la croyance en
les « Revies » (1).
• L’écrivain au travail,
imprimeur, inventeur de mots, ne
vivant guère que de et pour son
œuvre, ne se relisant, ne se
censurant pas, livrant ses
ébauches, ses notes, utilisant
cinq, dix fois la même histoire,
jamais identique : un flux
continu de création, j’allais
dire d’émission, littéraire.
• Enfin, l’homme qui a eu le
projet de tout révéler de lui,
du cœur humain, projet dont le
grandiose, dans « Monsieur
Nicolas », rejoint celui des
« Confessions », des « Mémoires
d’Outre-Tombe », de « La
Recherche du Temps perdu ». Il a
dissimulé autant qu’il a
dévoilé, il a « romanisé » (1)
sa vie, et aujourd’hui, alors
que ses dissimulations même le
révèlent, commence-t-on
seulement à distinguer, et
encore, le vrai du faux dans ce
qu’il a écrit de lui. Après deux
cents ans.
« Allez-y voir vous-même, si
vous ne voulez pas me croire ».
(2). Même si, de la cinquantaine
d'ouvrages qu'il ait écrits, une
dizaine seulement soient
facilement accessibles. En
effet, l'œuvre complète a été
rééditée en "reprint" à la fin
des années quatre-vingt, mais à
des prix sensiblement élevés.
Il reste aussi les bonnes
bibliothèques... et Restif vaut
le déplacement !
Michel DOUMAS
Article extrait du Bulletin de
la Société Littéraire des PTT -
Numéro Spécial - Septembre 1984
et actualisé par l'auteur en
mars 2006 pour publication sur
ce site
(1) Exemples de néologismes
forgés par Restif.
(2) Lautréamont.
Biographie de Restif de La
Bretonne et principaux ouvrages.
« Lisez-moi. Me voilà devenu un
livre à mon tour. »
23
octobre 1734
Naissance de Nicolas Edme
Rétif, à Sacy, Yonne, d’Edme
Rétif, 44 ans, veuf de Marie
Dondaine (qui lui a donné huit
enfants), et de Barbe Ferlet, 31
ans, veuve d’Edme Boujot (dont
elle a eu un fils). Edme Rétif
et Barbe Ferlet se sont mariés
le 26 janvier 1734, et, dit
Restif (Il adoptera plus tard
cette orthographe pour son nom)
« je fus sans doute conçu dans
un embrassement chaud qui me
donna la base de mon
caractère... »
1742
La famille Rétif s’installe à la
ferme de La Bretonne. Edme
Rétif, paysan aisé et
« lieutenant de Sacy », sorte de
juge de paix et tabellion,
donnera au total neuf enfants à
Barbe Ferlet. L’enfance de
Restif est celle d’un petit
paysan, petit pâtre, protégé par
l’adulation que lui portent sa
mère et de nombreuses jeunes
filles de son entourage.
1746
Nicolas a la petite vérole, ce
qui gâte un peu son joli visage.
Le 17octobre. il part pour
Bicêtre pour être élève de
« l’école d’enfants de chœur de
l’hôpital », dirigée par son
demi-frère Thomas.
1747
La communauté janséniste du
Bicêtre étant menacée, Nicolas
et l’abbé Thomas reviennent à
Auxerre.
1748
Nicolas apprend le latin chez
son frère, le curé de Courgis
(village proche de Chablis).
Il s’éprend de Jeannette
Rousseau, 17 ans, qu’il
n’oubliera jamais.
1750
il regagne Sacy après avoir
imprudemment noté par écrit ce
que lui inspirent les jeunes
beautés de Courgis et des
environs.
1751 -1755
Séjour de Restif à Auxerre où il
apprend le métier d’imprimeur,
la pratique de la galanterie et
où il s’éprend de Marguerite
Collet, l’épouse de son patron
(Colette Parangon sous son nom
romanesque), qu’il n’oubliera
jamais (elle non plus !).
1752
Il commence la rédaction de
cahiers intimes qu’il poursuivra
jusqu’à la fin de sa vie. Il lit
beaucoup (auteurs antiques,
Racine...).
1755
II part pour Paris et, compagnon
imprimeur, occupe plusieurs
postes. Il multiplie,
réellement et, ou fictivement,
les conquêtes.
1759
Il revient à Sacy,
séjourne un moment à Dijon,
retrouve son ancien patron
d’Auxerre, devenu veuf, qui
l’emploie à nouveau.
1760
Mariage de Nicolas avec Agnès
Lebègue, née en 1738 à Auxerre.
1761
Naissance de sa fille Agnès.
Restif regagne Paris, y exerce
son métier d’imprimeur. Le
ménage Restif connaît la gêne
et, bientôt, la mésentente.
1764
Naissance de sa fille Marion
(entre Agnès et Marion sont nées
deux autres filles qui mourront
en bas âge).
1765
Il entreprend son premier roman,
inspiré par une muse, réelle ou
fictive, et entraîné par la
lecture des romans qu’il
imprime : il se sent capable
d’écrire aussi bien.
1767
Publication de son premier roman
: « La famille vertueuse »
Restif abandonne son métier
d’imprimeur pour devenir auteur.
La mésentente dans le ménage
devient une désunion
irrémédiable.
1769
Les publications du « Pied
de Fanchette » et du Pornographe
(projet de réforme de la
prostitution) marquent les
premiers succès littéraires de
Restif (qui ne publie pas encore
sous son nom). Restif publie
sans succès de nombreux ouvrages
jusqu’en :
1775
« Le paysan perverti ». Enorme
succès, plusieurs éditions,
nombreuses contrefaçons.
Attribué à Diderot et
Beaumarchais.
1778
« La vie de mon père ». Il
peint sous des couleurs
idylliques la vie rustique de sa
famille à Nitry et Sacy.
1779
Restif, qui a besoin d’un
cérémonial particulier pour ses
souvenirs et anniversaires
affectifs, commence à graver des
inscriptions sur les parapets de
l’île Saint-Louis.
1780
Il entreprend « Les
Contemporaines », ou aventures
des plus jolies femmes de l’âge
présent, dont la publication
durera jusqu’en 1785 (recueil de
nouvelles en quarante-deux
volumes).
1781
« La découverte Australe»
(Restif utopiste).
1782
Après avoir rencontré
Beaumarchais en 1779, il lie
connaissance avec Grimod de la
Reyniêre et l’écrivain
Louis-Sébastien Mercier.
« L’Andrographe » (l’homme
réformé).
1783
« La dernière aventure d’un
homme de 45 ans ». (l’histoire
de son amour pour la jeune Sara,
fille entretenue).
1785
Agnès Lebègue quitte
définitivement Restif. Celui-ci
publie beaucoup (notamment:
1784, «La paysanne pervertie» ;
en 1786, « La femme infidèle »,
histoire de ses démêlés avec son
épouse), connaît des déboires
avec la censure, entreprend «
Monsieur Nicolas » et bientôt,
les « Nuits de Paris ». Il dîne
chez Grimod de la Reynière et
Fanny de Beauharnais et
fréquente écrivains et mondains.
1788
Il s’installe définitivement rue
de la Bûcherie, après avoir
habité de nombreux logements
dans le quartier limité par la
Seine, la rue Saint-Jacques et
la place Maubert, à proximité du
port d’arrivée du coche d’eau
d’Auxerre. Son apparence
vestimentaire devient de plus en
plus négligée. Publication des
« Nuits de Paris » (tomes 1 à
6).
1789
« Ingénue Saxancour » (les
démêlés de sa fille Agnès avec
son gendre, le « monstre »
Augé). Suite des « Nuits de
Paris ». Le Thesmographe
(réforme des lois et de la
société).
1790
« La semaine nocturne »
(suite des « Nuits de Paris »).
« Le Palais Royal » (les filles
du Palais Royal).
1791
Il imprime ses livres
lui-même, « à la
maison ».
1793
« Le Drame de la Vie » ;
théâtre.
1794
Restif divorce, sa fille Agnès
aussi. Fin des « Nuits de Paris
» (Restif sous la Révolution),
« Monsieur Nicolas » (tomes I
à III), c’est
l’autobiographie romancée de
Restif (« Le cœur humain
dévoilé »).
1795
Marion, veuve, et ses trois
enfants, viennent vivre avec
Restif.
1796
Ruiné et infirme, Restif connait
la misère. Il sollicite des
secours publics. Il est refusé à
l’institut (on lui reproche son
manque de goût).
1797
« Monsieur Nicolas ».
(suite et fin).
1798
Ayant refusé de se rendre dans
l’Allier pour y être professeur
d’histoire, il occupe un poste
dans la police au bureau des
lettres interceptées.
« L’anti-justine »
(contre Sade, pour le plaisir :
l’ouvrage de Restif le
plus souvent réédité).
1802
Son poste est supprimé, sa
misère et ses infirmités
s’aggravent ; nouvelles demandes
de secours. Les
« Posthumes », saisies par la
police, « Les nouvelles
contemporaines ».
1806
Décès le 6 février. Une
tradition aujourd'hui mise en
doute prétend que deux mille
personnes assistaient à ses
obsèques. Il laisse de nombreux
manuscrits inédits parmi
lesquels le roman "L'enclos et
les oiseaux" (perdu) et des
nouvelles, dont certaines
publiées en 1813 sous le
titre "Histoire des compagnes de
Maria".
1883
« Lettres inédites ».
1887
« Mes Inscriptions »,
journal intime, 1780-1787 (avec
notamment le relevé des
inscriptions sur les parapets de
l’Île Saint-Louis).
1972-2006
Le
"Journal intime, 1787-1796",
déchiffré, présenté et publié
par Pierre Testud dans la revue
"Etudes rétiviennes" (un
tournant dans la critique
rétivienne moderne). Il est à
noter que depuis 1985, la
Société Rétif de la Bretonne
réunit les admirateurs de
l'écrivain. Elle dispose de son
site internet.
Michel DOUMAS
Article extrait du
Bulletin de la Société
Littéraire des PTT -
Numéro Spécial -
Septembre 1984 et
actualisé par l'auteur
en mars 2006 pour
publication sur ce site.
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